AnthonyPhelps : le poète-rassembleur
ParLyonelIcart
Montréal,décembre 2004
NDLR – Cetexte inédit, que nous publions avec l’aimable autorisation de l’auteur, datede 2004. Il n’avait auparavant fait l’objet d’aucune publication et le lecteursaura l’apprécier pour plusieurs raisons, notamment la pertinence du propos, lesouci d’une documentation précise, les liens d’AnthonyPhelps avec l’avant-garde littéraire du Québec, etc. Dans cet article, lerelevé chronologique des œuvres de Phelps ne prend pas en compte despublications récentes : « Nomadeje fus de très vieille mémoire » (anthologie de poésie, 2012) et« Je veille incorrigibleféticheur » (poésie, 2016), bellement éditées en France chez BrunoDoucey. [RBO]
Le poète etromancier AnthonyPhelps est né à Port-au-Prince en 1928. De son Haïti natale, sa curiosité,très tôt, se manifesta dans ce désir de briser la claustration de l’insularitéen s’ouvrant aux écrivains du continent. Il fait ses études chez les Frères del’Instruction chrétienne et obtient son baccalauréat en 1947. Au milieu de cesannées quarante, les relations entre Haïti et le Québec étaient à leursbalbutiements. Bien qu’Il eût quelques «professeurs canadiens-françaisen soutane», c’estpar d’autres voies, plus personnelles, qu’il entre en relation avec le Québec.En cette période de guerre, il lisait les classiques français dans une éditionpirate publiée au Québec par Bernard Valiquette qui les distribuait en Haïti.Le journal La Patrie arrivaitégalement à Port-au-Prince et il comportait toujours une page littéraire quiintéressait le jeune étudiant. C’est ainsi que Phelps eut connaissance desœuvres des écrivains Yves Thériault, Anne Hébert et Rina Lasnier. Il leurécrivit, et c’est Rina Lasnier qui lui répondit, entretenant avec lui unecorrespondance dès 1945. Quand, en 1950, Phelps se rend aux États-Unis étudierla chimie à l’université Seton Hall du New Jersey, il fit savoir à sacorrespondante qu’il était sur le continent. Celle-ci l’invita à Montréal où ilpassa deux semaines, séjour au cours duquel il rencontra Yves Thériault. Et dèsl’année suivante, en 1951, Phelps se rendit au Canada où il séjourna durantdeux années. Il fréquenta les Beaux-arts où enseignait Pierre Normandeau ets’initia à la céramique chez Jean Cartier. Il logeait chez Yves Thériault dontil était également le secrétaire; et il apprit de lui les techniques del’écriture radiophonique. Il fit ses premières armes dans le théâtreradiophonique quand Guy Beaulne, animateur de l’émission Nouveautés dramatiques qu’il avait rencontré chez les Thériault,lui demanda un texte. C’est ainsi que sa pièce, Rachat, fut jouée en 1951 sur les ondes de Radio Canada.
De retour enHaïti à la fin de 1953, il se consacre surtout à la littérature en collaborantà divers journaux et revues. Mettant à profit son expérience québécoise, ilcrée et anime la troupe de comédiens Prismequi présente, hebdomadairement, des émissions de poésie et des jeuxradiophoniques sur les ondes de RadioCacique, studio qu’il avait fondé avec la collaboration de son beau-frère.C’est en 1960 qu’il fonde le groupe Haïti-littéraireet la revue Semences avec les poètesLegagneur, Morisseau, Davertige, Philoctète et Thénor. Deux autres nomsgravitaient autour de ce groupe : le jeune Emile Ollivier qui émergeait del’adolescence et, un peu plus tard et plus distant du groupe, Jean-RichardLaforest revenu de Moscou. Les rencontres de ce collectif d’écrivains avaientlieu dans la maison d’Anthony Phelps qui en était à la fois l’inspirateur etl’animateur. En ces temps du totalitarisme naissant et des premières tentativesde contrôle des consciences, les jeunes poètes d’Haïti littéraire arpentaient, en lectures, le vaste monde etredessinaient la topographie de la littérature haïtienne. Ces odysséesimaginaires et cette exigence de liberté faisaient éclater les cadres de d’uncertain indigénisme littéraire exclusif, recroquevillé, et ne pouvaient aboutirqu’au refus de l’assujettissement à toute idéologie; celle, duvaliériste,particulièrement. En rupture avec ce courant littéraire agonisant mais quirenaissait, brutal et difforme, dans le politique, en rupture avec lessavoir-faire traditionnels en s’ouvrant aux autres, en dialogue avec lamodernité outre-mer, sensible aux distorsions des rapports sociaux, rebelle etréfractaire aux atteintes à la liberté et aux droits, Haïti littéraire était résolument subversive. Dissidente, elleproposait une autre voie qui exigeait que soit préservé le principe cardinal dela création, la liberté, la possibilité de dire le monde à partir d’uneexpérience intérieure, intime. Elle indiquait un horizon littéraire, culturelet social à la fois national et fondé sur l’altérité. Mais dans le fracas desbottes et la veulerie des cagoules, allaient s’abattre sur ces jeunes poètes lesfureurs de la démence. Dès le quatrième numéro, la revue fut saisie et lesauteurs pourchassés, arrêtés, emprisonnés. Phelps n’était pas visé directement,mais accusé de complicité pour avoir prêté sa machine à écrire à un tiers dansle but de fabriquer des tracts. Peu importe. Il était là, chez lui, quand lestontons macoutes arrivèrent flanqués d’un de ses camarades, menotté. Il subitle même sort, et les sbires de Papa doc, comme persuadés que la destruction del’instrument anéantirait la pensée, s’emparèrent également de la machine àécrire. Il passa trois semaines dans les cachots du docteur dictateur. C’étaiten 1964. Libéré, sans cesse l’effroi se prolongeait dans les cauchemars quihantaient ses nuits. A cette date, Phelps avait déjà publié trois recueils depoèmes : Eté (1960), Eclat de silence (1962) et Présence (1961). Il avait alorsécrit :
Je suis l’aubain dans la cité des hommes dema race
Je suis celui qui sort de toutes parts et quin’est point d’ici
Et en cettemême année 1964, ce sentiment de singularité s’accomplit dans l’étrangeté del’exil ; Phelps partit pour les Etats-Unis rejoindre son frère médecin quihabitait Philadelphie. Il n’y resta pas longtemps. Yves Thériault et sa femmefirent le voyage en voiture et le ramenèrent au Québec. Et depuis 1964, AnthonyPhelps vit à Montréal.
Les premierstemps de l’exil sont déroutants. Ce n’était plus un voyage d’agréments oud’études. C’était une coupure radicale et il fallait remodeler une vie en terreétrangère. Les débuts eurent lieu au Perchoird’Haïti. Les musiciens faisaient relâche le lundi soir. Les poètes avaientsaisi cette occasion, investi ce créneau afin d’organiser des récitals depoésie et présenter leur œuvre au public. La soirée des poètes connut un francsuccès et le public était aussi nombreux et multiethnique que celui des soiréesdansantes des musiciens, les autres soirs. Mais, là s’arrêtent les analogiescar les premiers n’étaient pas rémunérés. Phelps se souvient : « Lepropriétaire, Carlo D. Juste, nous avait dit “vous pouvez passer le chapeau. Jevous donne dix pour cent des recettes”. On l’a fait car on était mal pris ».Les lundis du Perchoir étaient uncreuset, un lieu de rencontre où convergeaient des auteurs haïtiens, québécois,latino-américains. Raoul Duguay y a donné lecture de ses premiers poèmes. On yretrouvait également les poètes Gaston Miron, Paul Chamberland, Juan Garcia,Denise Boucher qui n’avait encore rien publié, le précoce Claude Péloquin etNicole Brossard qui venait de fonder la revue La Barre du Jour. Ces soirées furent immortalisées sur pelliculedans un film de Roger et Madeleine Nadeau. Tandis que son roman Les chiffonniers de l’exil, évoque sespremières années d’exil, Phelps publie en 1966, un recueil de Poésie Points cardinaux consacré à Montréal.
Les nombreuxliens tissés par Phelps avec les intellectuels québécois pendant près de vingtans, sa connaissance préalable du pays d’accueil et sa formation, reçue enpartie au Québec, avaient pavé la voie à son intégration. En 1966, il est engagéà la salle des nouvelles de la télévision de Radio Canada. Il y fera unecarrière de journaliste et prendra sa retraite après vingt ans de service.Parallèlement, tout au long de sa carrière, il a poursuivi son œuvrelittéraire. Celle-ci atteste d’une production régulière. Elle est hantée par lesouvenir de la terre natale, jamais nommée dans le texte maisd’une présence obsédante comme l’ont déjà souligné plusieurs critiques.Le long poème Mon Pays que voiciest le récit de l’histoire glorieuse et cauchemardesque d’Haïti, des originesdouloureuses,
Ils sont venus à fond de cale
tesnouveaux fils à la peau noire
pourla relève de l’Indien au fond des mines
à la dignitéconquise,
La terreavait atteint son angle de repos
et chaque pierre prise en sa couche d’argile
portait le Choeur immense et le grand jet du mât
la partition martiale et le drapeau tout neuf
de l’honneurperdu,
Et un matinde sang trop vif
chut le grand mât et s’effondra le Choeur
La pierre incorruptible avait quitté sa couche
Et ce futMarchaterre
au naufragedans la dictature,
tout unpeuple affligé de silence
se déplace dans l’argileux mutisme des abîmes …
La vie partout est en veilleuse…
Ô mon Payssi triste est la saison
qu’il est venu le temps de se parler par signes
jusqu’àl’humiliation de l’exil,
j’ai vu ômon Pays tes enfants sans mémoire
dans toutes les capitales de l’Amérique
le coui tendu et toute fierté bue
Ce thème dupays natal persiste comme une obsession qui jamais ne quitte le poète tout aulong de son séjour en terre québécoise. Cette déchirure provoquée par l’exilfait sans cesse retour, lancinant, pesant, où l’évocation de l’enfance,heureuse et protégée, sonne comme la quête d’un paradis perdu, le désir defixer le temps dans l’espace de l’enchantement du matin. Mais l’irruption de lanuit brutale de la dictature parasite ce temps de l’innocence, assaillel’espace neuf de l’émigration. Et l’anamnèse se nourrit aux deux sources dupays rêvé et spolié. Ainsi, dans Marelleet jeu de quilles,les jeux de l’enfance se prolongent dans l’éveil des premiers désirs del’adolescence. Le thème de l’Amour associant le tracé de la marelle au corps dela femme, / Sur la piste lisse et nue balisée des seins vierges/,d’abord innocence et découvertesheureuses, que le poème développe dans une première version d’avant l’exil de1964, ce poème est réécrit en 1975, après l’exil.Il est mis en carène pour dire le rapport nouveau qu’entretient désormais le poète avec son pays natal; celui dela douloureuse expérience de la dictature, / L’enfer ici le ciel aux antipodes /, où Haïti prend l’allure d’uneprison infernale, / Les barreaux chantentla fin / Les barreaux miment la mort/, d’où il faut à tout prix s’échapper pour rester en vie, / Saute par-dessus le parapet Saute /Ton salut est dans le saut /. L’image dela marelle quitte alors celle du corps de la jeune fille pour se dérouler dansla métaphore du trajet salvateur qui l’emmène vers « le ciel devant », et laisse « l’enfer derrière ». Si l’exil est promesse de survie, il n’estpas pour autant garant de tranquillité et de rédemption. Phelps seraconstamment taraudé par les événements tragiques qui ont traversé sa vie. Sestextes, émaillés de thèmes communs aux poètes de tous temps et de tous lieux(la femme, l’amour, la fuite du temps, la mer, la trahison) entrelacent, danssa poésie et son œuvre romanesque, des motifs récurrents qui captent l’histoireindividuelle au moment où elle bascule dans le drame de l’histoire collective.Tout comme ce thème du voyage salutaire va se retrouver dans l’oeuvreromanesque, dans Moins l’infinien particulier, le motif du Clown, dans le roman Mémoire en Colin-Maillard, est également présent dans la poésie,notamment sur le mode du flash-back :
Une fenêtre explore mes cendres
Les prières de fumée révèlent mes fragments
Revient alors en moi le Clown
fileur d’espace et qui divague
dans l’entrebâillement des au revoir
Quelquehermétiques que soient ces vers, leur puissance de suggestion évoque deslambeaux de souvenirs tenaces qui ne peuvent faire pleinement sens qu’enréférence au personnage central du roman, en l’occurrence le Clown, dans lequelle récit d’une trahison brouille, dans un jeu de cligne musette et deglissements subtils des rôles, les frontières entre le réel et l’imaginaire.« Qui a livré les enfants Collin aux tontons macoutes qui lesrecherchaient comme otages contre leur père passé dans la clandestinité » ?Le récit de la délation sous la torture se fait introspection chez leprotagoniste, geste libérateur qui vise à conjurer la culpabilité, apaiser lesentiment de la faute. L’écriture se fait analyse et plus qu’une recherche dela vérité, le roman se donne comme une quête d’identité; une identité mise enpièces, brisée par la violence de la dictature et que le parcours narratiftente de reconstruire. Expier le crime de la délation appelle le rachat que leprotagoniste du roman réalise dans des rêves d’actions révolutionnaireshéroïques contre un despote sanguinaire, ou dans les haut faits du karateka dansHaïti! Haïti! .Impuissance face à la brutalité aveugleet nue du réel compensée dans l’imaginaire ? Sans doute. Et quand l’heurede la vengeance sonne, que les victimes se font à leur tour bourreaux, le poètese « …déleste du macadam / oùfleurissent des colliers pneumatiques », soulagé peut-être de lalibération de son pays, mais simple observateur qui souhaiterait que cechangement rétablisse le temps de son enfance : « …J’aurais aimérevivre mon enfance mais à l’age adulte. Être maintenant aussi heureux que jel’étais quand j’étais gosse [iii]».S’écarter du réel immédiat, même s’il est promesse de renouvellement, afin dene pas y dissoudre son intégrité, sous peine d’y laisser son écale de poète. Ilne reste alors que « le cri de nosétoiles / se noyant dans la mer »,le cri insécable, que l’on entend toujours et encore, « la seule chose éternelle, indestructible, laseule permanente »,la parole du poète. Ecrire pour soi d’abord carc’est dans la poésie que tout commence et que tout s’achève : « Au commencement était le TOUT / monstimulant chaos[vii]».L’écriture, chez Phelps, est facteur d’équilibre, productrice d’images, desonorités, de sensations qui affectent l’exil froid d’un coefficient deréalité; complice de la perte d’un pays rêvé, qui hante, mais qui sans cesse sedérobe, et « devient de plus en plus étranger[viii]».L’écriture est à la fois moyen et finalité. Et dans cette magie née de« la voyageuse immobile de picas »qui scande le passage du temps, ce fossoyeur de mémoire, l’écriture transforme lasingularité d’une vie pour camper, dans la matérialité des mots, des signes etdes picas, le signifié nu d’unepoésie universelle.
Poète,romancier, dramaturge et diseur, membre de l’union des écrivains du Québec(UNEQ), Anthony Phelps a, en outre, participé à la narration de plusieursfilms, produit et réalisé une dizaine de disques de poésie québécoise, depoètes tant natifs que d’origine haïtienne. Plusieurs fois boursier du Conseil des Arts du Canada, il aobtenu à deux reprises le prix de poésie “Casa de las Americas”, à Cuba.Certains de ses ouvrages ont été traduits en allemand, en anglais, en espagnol,en italien, en russe et en ukrainien. Bien connu du monde littéraire québécois,l’œuvre de Phelps, longtemps, ne trouva place dans les anthologies de lalittérature québécoise. Gaston Miron justifie son absence de l’anthologie de lapoésie québécoise de Mailhot et Nepveu,par le fait que Phelps est considéré, par ses compatriotes, comme « unpoète national haïtien ». Et au tout début de l’exil, des éditeurs lui ontretourné ses manuscrits, ne comprenant pas « ce dont il parlait ».Phelps comprend parfaitement cette exclusion et, tout comme, pour lui,« il est difficile de s’approprier l’Histoire de l’autre », de lamême manière il se demande comment son œuvre, toute imprégnée du pays natal,peut être absorbée par les Québécois. Mais après quarante ans d’exil, Phelpstransporte avec lui deux pays, deux mondes. D’un côté, le pays d’adoption où ils’est marié, y a produit son œuvre, et s’y est enraciné tant et si bien que,s’il lui est « impossible de dire pomme, ce mot bien québécois… desmots nouveaux, des expressions nouvelles, des images insolites, ontinsidieusement… investi [son] vocabulaire initial, en ont enrichi le contenu ».Et de l’autre, le pays des ancêtres, pays porté en écharpe qui, dans un effortconscient, continue «d’exister dans une mémoire volontaire».
Poètenational haïtien vivant et publiant au Québec, mais un temps oublié de lalittérature québécoise, les critiques littéraires haïtiens ne manquèrent pas,dans un autre registre, de blâmer la position idéologique de Phelps. Tandis queJonassaint lui reproche sa « superficialité » de« petit-bourgeois » qui «évacue des problèmes fondamentaux dans cettesociété»,seule la beauté des vers et de la langue de Phelps, trouvent grâce aux yeux deDominique qui rejette en bloc le contenu de l’œuvre pour « ses ratés etson manque… dans l’approche du drame haïtien ».On peut, bien sûr, concevoir la littérature comme une arme pour le combatsocial, mais elle n’est pas nécessairement « un pas de grenadier montant àl’assaut » ;et pour Phelps elle n’a pas vocation de fournir une peinture réaliste de la société. Sa conception de lalittérature est plus proche de celle d’un Kundera ou d’un Fuentes qui ont faitleur la formule de Hermann Broch pour qui la fonction du roman est de dire« ce que seul le roman peut dire ».Le roman n’est pas une illustration de la réalité, mais n’en indique pas moinsles zones d’ombre de la société. Et parce que d’autres discours, aujourd’hui,prennent en charge le social, les codes que le roman réaliste du 19esiècle avait élaborés, ont évolué. On n’a qu’à penser à Musil, Joyce ou Proust.Le territoire romanesque de Phelps est celui des possibilités extrêmes du mondehumain. Il examine les zones de l’humain inaccessibles au discoursscientifique, explore les aspects subjectifs, la face cachée de l’histoire, unepossibilité de l’existence « qui nous fait voir ce que nous sommes [et] dequoi nous sommes capables ». Bien mieux que tous les discoursscientifiques, la parole du poète et du romancier rend sensibles les ravagescausés par la violence de la dictature sur la vie des individus et parconséquent en révèle les séquelles laissées dans la société, le refoulé d’unpeuple face à l’Histoire.
Si, pourPhelps, la littérature « n’est pas un champ de bataille », elle est,en revanche, « une immense matrice »à partir d’où la vie intérieure du poète tente d’inventer des formes pour sedire, se libérer d’une histoire nécessairement imbriquée dans un tissu socialspécifique. Mais fidèle à la voie tracée dès Haïti Littéraire, il appartient « à la race desmarginaux : ceux qui refusent l’agglutinement du troupeau, la mise encode, la hiérarchie, la loi et l’ordre ». Cette posture n’est pas pourautant isolement. Tout comme à ses débuts en Haïti, Anthony Phelps futégalement rassembleur au Québec. Sa venue ici attira presque la totalité despoètes d’Haïti littéraire :Serge Legagneur, Roland Morisseau, Davertige, Emile Ollivier, Jean-RichardLaforest, et René Philoctète qui, ne supportant pas l’exil, préfèrera regagnerla terre natale. Et c’est tout naturellement que Phelps, sous d’autres cieux,mais ceux déjà présents à ses débuts, anime des rencontres, non plus imaginairescette-fois-ci, sous le signe du dialogue des cultures. « Je me souviensdes riches soirées chez lui, au tout début de l’exil et du désarroi, quandHélène Valiquette, ‘sa compagne de haute lice’, nous accueillait avec unehospitalité sans fausse note et aménageait des passerelles entre lesintellectuels québécois et nous ».
Et moi aussi je suis une île, ce recueilde contes pour enfants que Phelps écrivit en 1973et duquel Alan d’Aix tira un film,symbolise bien la carrière et la vie du poète. L’enfance : dimension duparadis perdu, du temps du bonheur révolu, fauché par la dictature dans la viedu poète. L’île : la singularité du travail d’écriture qui exige le replisur soi et la forme du conte qui traduit le voyage imaginaire et larencontre des deux îles d’attache du poète que sont Montréal et Haïti.« Ces histoires délicates et frêles du poisson rouge Molly, de l’île deMontréal en ballade sous les tropiques, de la poupée à la chambre de Soleil,par la fantaisie et la fraîcheur de leurs évocations, nous font reconnaître quele fées ne sont pas mortes et qu’elles savent au besoin, pour charmer lesenfants, délaisser leur baguette magique et emprunter la plume des poètes ».
NOTES
L’expression est de Phelps.
Anthony Phelps, Mon Pays que Voici, Paris, éditionsPierre-Jean Oswald, 1968 .
Entrevue avec Anthony Phelps, 30 octobre 2004.
Leon-Francois Hoffman, cité par E. Ollivier dans Hommage à Anthony Phelps, Soirée à laBibliothèque Nationale du Quebec, 2 février 2001.
Anthony Phelps,Mon pays que voici. Op.cit.
Anthony Phelps, Motifs pour le temps saisonnier, EditionsPierre jean Oswald, Paris, 1975
Max Dominique, Filer unemétaphore. Micro lecture de Phelps, dans L’arme de la critique littéraire,Montréal, Les éditions du CIDIHCA, 1988, p. 217-219.
Voir Sergio Zoppi, Immobile viaggiatrice di pica, éditionbilingue, La Rosa, Torino, 2000 ; et Emile Ollivier, article cité
Anthony Phelps (1973), Moins l’infini, Montréal, nouvelleédition, CIDIHCA, 2001
Gewecke, F. cité par Alessandro Costantini, Fantasmes de la violence et traumatismes de l’identité dans “Mémoire enColin-Maillard” d’Anthony Phelps, La deriva delle francofonie, Vol.II, Les Antilles, Librairie Universitaire de Bologne, Italie, 1992.
Anthony Phelps ; Gary Klang. Haïti ! Haïti !,Montréal, Libre Expression, 1985
Anthony Phelps, Conjonction, No 170-171, juillet-decembre1986, Littérature haïtienne de ladiaspora II, Entretien avecPierre-Raymond Dumas, p. 113.
Motifs pour le temps saisonnier, op.cit., p.7
ThomasBernhard, Gel (1967), trad. de l’allemand par Boris Simon et JoséeTurk-Meyer , Paris, Collection du monde entier, Gallimard.
Jean Jonasssaint, Le pouvoir des mots, les maux du pouvoir,Montréal, Arcantère / PUM, 1986
Anthony Phelps,
Anthony Phelps, Ici,ailleurs : quelles frontières.Sous le signe du double,
Anthony Phelps, Immobile Voyageuse de Picas et autres silences.Montréal: CIDIHCA, 2000.
Pierre Nepveu et Laurent Mailhot La poésie québécoise, desorigines a nos jours: anthologieMontréal, Presses de l’Université du Québec et l’Hexagone, 1981, réédition,1986.
Anthony Phelps, dans Jean Jonassaint, Le pouvoir de mots, lesmaux du pouvoir, op. cit.
Anthony Phelps, Ici,ailleurs : quelles frontières? Sous le signe du double, Notre librairie,No.143 (janvier-mars 2001), pp. 12-13.
Jean Jonassaint, op.cit., p. 112 et 115.
Max Dominique, op. cit. p. 228.
Emile Ollivier, Hommage àAnthony Phelps, Bibliothèque Nationale du Québec, Montréal 2 février 2001,
http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/ollivier_phelps.html
Hermann Broch, La Mort de Virgile, Gallimard 1980.
Milan Kundera, L’art du roman, Paris, Gallimard, 1986, p.62.
Anthony Phelps, in Jean Jonassaint, Le pouvoir de mots, lesmaux du pouvoir, Montréal, Arcantère / PUM, 1986, p. 113.
Anthony Phelps, Orchidée nègre. Montréal, Triptyque, 1987, p. 54
Emile Ollivier,Hommage à Anthony Phelps, op.cit.
Anthony Phelps, Etmoi, je suis une île. Montréal: Leméac (Collection Francophonievivante), 1973
Alain d’Aix,Les îles ont une âme. Film, 29 minutes Montréal: ProductionsInformAction, 1988
Maximilien Laroche, cité par R. Hamel, J. Hare, P. Wyczynski, Dictionnairepratique des auteurs québécois, Montréal, Fides, 1976