Le droit à la langue maternelle :
retour sur les languesd’enseignement en Haïti
Robert Berrouët-Oriol
Montréal,le 18 décembre 2014
Depuis la promulgation de la Constitution de1987, la vision et l’impératif de l’aménagement linguistique en Haïti seheurtent à une profonde lacune : l’inexistence d’une ample enquêtesociolinguistique à l’échelle nationale sur le fonctionnement de nos deuxlangues officielles, le créole et le français, dans la vie detous les jours, en situation informelle comme sur les registres formels. Cela étant posé, il faut savoir que dès les années 1930 deslivres de qualité ont été consacrés notamment à la description du créole par SuzanneComhaire-Sylvain (Le créole haïtien : morphologie et syntaxe, 1936), etpar Jules Faine (Philologie créole, 1937), lespionniers des études du domaine. Par la suite, les travaux pionniers de PradelPompilus ont marqué un réel tournant dans le champ des études linguistiques aupays : la « Contribution à l’étude comparée du français et du créole », publiée en1973 et 1976; « La langue française en Haïti»(1961), 1981,Le problème linguistique haïtienpublié en 1985.Plus proche de nousdans le temps,la thèse de doctorat d’État soutenue en 1998 par Dominique Fattier[1] avait pour objectif de «Proposer,sous la forme d’un Atlas linguistique, un grand corpus de créole haïtien parléen milieu unilingue, et tenter, par le commentaire de ce corpus, d’éclairer lagenèse de cette langue (…).»Dans l’épaisseur dutemps, lacréolistique[2]a apporté ces dernières annéesdes éclairages majeurs sur desdomaines-clé du créole (syntaxe, morphologie, graphie,phonologie, etc.). Mais la connaissance de la configuration sociolinguistiquehaïtienne mérite encore d’être approfondie et l’on charrie toujours plusieursapproximations à ce sujet. Ainsi tel « spécialiste » dira de manièrehabitudinaire, sans référence à des données statistiques connues et fiables,que 5 ou 10 ou 15 ou 20% de la population haïtienne est bilinguefrançais-créole. Sans prise en compte du patrimoine linguistique nationalbiséculaire, tel autre « spécialiste » répètera de manièrehabitudinaire le cliché selon lequel le français est une « langueétrangère » en Haïti. Un linguiste[3]haïtien, pourtantconnu pour la rigueur de son étude doctorale de la graphie du créole, a mêmeprêché, à l’encontre de l’Histoire, qu’« Il faut tirer lesconséquences du fait qu’Haïti est un pays essentiellement monolingue. Haïti estdes plus monolingues des pays monolingues.» Enl’absence d’une ample étude sociolinguistique sur le fonctionnement de nos deuxlangues officielles, nous faisons encore face à ce type d’aberration qu’ilsemble commode de véhiculer lorsqu’une idéologie sectaire pollue les sciencesdu langage et sert ainsi de caution à certaines dérives fondamentalistes auxmarges de la linguistique.
Que savons-nous réellement, en 2014, des langues d’enseignementen Haïti ? En l’absence d’une politique d’aménagement linguistique formulée etportée par l’État, en l’absence de statistiques sur l’emploi de l’une et/oul’autre langue officielle en salle de classe à l’échelle nationale tant dans lesecteur privé (financement et contrôle +/- 80%) que dans le public (financementet contrôle +/- 20%), tant dans l’enseignement supérieur que dansl’enseignement technique, comment aborder pareille question ? Comment en amont« problématiser » laquestion des langues dans les systèmes haïtiens d’éducation et sous l’angleparticulier du « droit àla langue maternelle [4]
En une très brève synthèse, je dirai que mon abord de laquestion des langues d’enseignement s’articule au « droit à la langue maternelle » dans les systèmes haïtiens d’éducation :celui-ci désigne et consacre la reconnaissance et la primauté de la languematernelle, le créole, au titre d’un droit humain fondamental pour tous lesHaïtiens nés et élevés en Haïti, ainsi que de son usage qui doit êtrelégalement protégé et garanti dans toutes les sphères de la vie nationale; lareconnaissance du droit à la langue maternelle devrait donc être conjointe auxautres droits fondamentaux consignés dans la Constitution de 1987. Ledroit à la languedispose également que tous les Haïtiens ont le droit d’êtrescolarisés et éduqués dans les deux langues officielles du pays, le créole etle français, et que l’État a l’obligation constitutionnelle d’assurer leurscolarisation dans ces deux langues. C’est en vertu de ce droit fondamental queje plaide pour la généralisation de l’utilisation du créole dans tous lessystèmes haïtiens d’éducation, de la maternelle à l’enseignement supérieur ettechnique, à parité statutaire avec le français. L’État a l’obligation delégiférer pour garantir l’efficience du « droit à la langue maternelle ». Enfin situer et arrimer les langues d’enseignement au« droit à la langue»revient également à contribuer à une redéfinition de la citoyenneté haïtienneen termes de droits fondamentaux car la citoyenneté se formule et s’énonced’abord dans la langue maternelle.
Il est important de rappeler que de 1979 à 2014, aucuneinstitution du secteur privé, aucune institution de l’État (par exemplel’Institut haïtien de statistiques ou la Faculté de linguistique appliquée) n’apublié d’études spécifiques sur l’emploi du créole et du français dans lessystèmes éducatifs haïtiens, tous cycles confondus. Mais en dépit de la raretédes travaux traitant de manière ciblée de l’aménagement de nos deux languesofficielles dans les salles de classe de l’École haïtienne, deux étudesrécentes -–majeures quant à leur objet, remarquables quant à leurméthodologie–, ont retenu mon attention. D’abord celle du linguiste haïtienRenaud Govain,«L’état des lieux du créole dans lesétablissements scolaires en Haïti[5]», publiée en 2014,ensuitecelle du linguisteBenjamin Hebblethwaiteet du philosophe Michel Weber,« Le problème de l’usage scolaire d’une langue quin’est pas parlée à la maison : le créolehaïtienet la langue française dans l’enseignement haïtien[6]», datée de 2012.
Alors même qu’il ne faut pas perdrede vue que l’État haïtien, dès le milieu des années 1980, ne gère(administrativement et financièrement) que moins de 20% de l’École de larépublique, l’étude de Renaud Govain a entre autres le mérite de préciserà propos de la réforme Bernard de 1979 et de ses traces institutionnellesque « (…)laproblématique de la didactique du créole comme langue maternelle n’a pas étéposée. (…) on navigue encore dans des actions routinières qui ne sont paséclairées par des méthodes élaborées mûrement construites sur la base d’unedémarche réflexive de nature à réduire les chances de tâtonnement qu’onconstate actuellement dans l’enseignement/apprentissage du créole à l’école enHaïti.» (op. cit. p. 10) Le panorama qu’offre l’étude de RenaudGovain sur la modélisation du créole dans l’École de la république estsymptomatique d’une situation héritée de l’Histoire et il illustre également lafaible gouvernance de l’État dans les systèmes éducatifs haïtiens :
« Depuisla naissance de l’école haïtienne, au lendemain de l’indépendance du paysacquise le 1er janvier 1804, l’enseignement a toujours été fait exclusivementen français. Le créole n’a été pris en compte qu’avec la réforme de 1979. Ceque visait cette réforme, c’était en fait un bilinguisme équilibrécréole/français. L’enseignement du créole à l’école est certes officiel, maisil n’est pas systématique et se limite au cycle fondamental. Selon la réforme,le début de la scolarisation devait se faire en créole avec l’apprentissage dufrançais oral, ce qui devait conduire au fur et à mesure à un enseignement totalementen français (Chaudenson et Vernet, 1983). Cependant, depuis plus d’unevingtaine d’années, l’école catholique – Petit Séminaire Collège Saint Martial– l’enseigne de la première année à la terminale, à raison de deux heures parsemaines. Bon nombre d’écoles l’enseigne à des fins d’examens officiels : en 6èmeet en 9èmeAF, l’épreuve de créole y étantobligatoire. Par exemple, dans une école fondamentale et secondaire privée decatégorie socioéconomique moyenne de Port-au-Prince, nous avions constaté, en2002, que le créole n’était pas enseigné. Les responsables s’arrangent à ce queses élèves aient ce qu’il faut pour pouvoir participer aux examens officiels dela 6èmeAF (Certificatd’études primaires) et de la 9èmeAFet afin de réussir en créole. Ainsi, à l’approche des examens officiels, ilsoffrent aux candidats un séminaire de technique d’expression créole.»(Ibidem p. 15 – 16)
En ce qui a trait au français, Renaud Govain poursuit son analyse de la sorte :
« Lefrançais est pratiquement la langue d’enseignement mais son usage n’est pasexclusif dans l’espace-classe. Les élèves ne le comprenant pas toujours,certains enseignants se voient souvent obligés de recourir au créole pour mieuxse faire comprendre des élèves. Ces derniers utilisent rarement le français ;sauf dans les écoles aisées. Le français est surtout présent dans la plupartdes écoles des milieux aisés de Port-au-Prince et des grandes villes deprovince. Le créole domine dans les écoles rurales, dans celles de statutsocioéconomique défavorisé et les écoles publiques en général, même si laquasi-totalité des manuels est en français. » (Ibidem p. 16
Lelinguiste Renaud Govain expose de manière tout à fait pertinente que :
« L’un des problèmes majeursauxquels fait face l’emploi du créole comme langue d’enseignement dans lesystème scolaire haïtien est celui de la mise à sa disposition d’approchesdidactiques, de méthodes ou méthodologies constituées. Si la langue ne fait pasl’objet d’un dispositif didactique pour être enseignée comme une matière, sonutilisation comme langue d’enseignement pourrait être remise enquestion. » (Ibidem p. 17)
Pour leur part, BenjaminHebblethwaite et de Michel Weber consignent que :
« Le créole haïtien a été admiscomme outil d’enseignement et sujet d’étude par décret présidentiel etl’approbation législative a eu lieu le 18 septembre 1979 (Chaudenson et Vernet1983, p. 70). Le but ultime demeurait la vernacularisation du français –lapromotion du créole ne pouvait pas avoir lieu aux dépens du français(Chaudenson et Vernet 1983, p. 73-74)– mais le moyen fut modifié :l’alphabétisation en créole était alors considérée comme un préalable àl’acquisition du français. Le français oral était enseigné durant les quatrepremières années pour préparer les élèves à l’imposition du français encinquième année (Valdman 1984, p. 96). L’alphabétisation créole devait garantirau moins l’alphabétisation fonctionnelle et un « ensemble éducatif autonome » àla majorité (54,8%) qui abandonne invariablement l’école avant la sixième année(Hadjadj 2000, p. 20). En dehors du ministère de l’Éducation et del’Institut pédagogique national, peu d’acteurs institutionnels voulaiententreprendre les changements et beaucoup ont tenté, entre 1979 et 1986, desaboter la reforme de manière plus ou moins insidieuse (Charlier-Doucet 2003,p. 351). De plus, les administrateurs et les enseignants manquaientd’expérience et ont éprouvé de la difficulté à s’alphabétiser en créole haïtienet à embrasser la réforme pédagogique.» (op. cit. p. 74)
Passant en revue les arguments des« francophiles » et des « créolophiles, BenjaminHebblethwaite et Michel Weber notent, entre autres, que selon Dejean(2006, p. 35) :
«L’apprentissage du français estextraordinairement difficile lorsque les livres, les enseignants qualifiés,I’électricité et même la nourriture font cruellement défaut –surtout après leséisme du 12 janvier 2010. En insistant sur la nécessité d’une langue decommunication étendue, les partisans de l’enseignement dominé par le françaisrefusent de reconnaître que 9 500 000 sur 10 000 000 [d’]Haïtiensdemeurent isolés à l’intérieur de leur propre nation par leuranalphabétisme et l’absence d’un système éducatif créolophone.» (op. cit. p.76)
En se prononçant pour « un usagedominant du créole dans l’enseignement », les deux auteurs soutiennent enconclusion de leur étude que :
« L’usage du français dans lesécoles de l’État haïtien repose sur des forces historiques, l’habitude, lemanque de capillarité sociale, les pressions internationales, l’idéologiecapitaliste et la collaboration de ceux sur lesquels l’autorité est exercée (Foucault1977, p. 202). La politique linguistique qui favorise une langue minoritaire,aux dépens de la langue majoritaire, est l’un des problèmes de base du systèmeéducatif haïtien. Beaucoup de linguistes reconnaissent que l’alignement de lalangue de l’école avec celle parlée à la maison devrait être une priorité, nonseulement éducative et pédagogique, mais également économique. (op. cit. p. 77- 78) (…) Haïti, grâce au créole haïtien, est linguistiquement homogène.II existe un corpus grandissant de livres de haute qualité en créole haïtien.L’enseignement en langue première assurera l’alphabétisation de tous et la miseen place de standards qui sont des multiplicateurs liés au développement. (op.cit. p. 78)
Les deux études dont je rends compte ici apportent un éclairagepartiel sur la configuration sociolinguistique d’Haïti et elles analysent demanière plus ciblée les langues d’enseignement. Mais elles inventorientcelles-ci comme si l’École de la république d’Haïti était un tout uniforme etuniformément administré par l’État –qui ne gère et ne finance, faut-il lerappeler, qu’environ 20% de l’École haïtienne–, tandis que les données deleurs corpus respectifs semblent surtout recouvrir la configurationsociolinguistique de « la république de Port-au-Prince » qui regroupeenviron 41% de la population du pays. Par contre, les deux études se rejoignentsur l’impératif de la modélisation d’une École de la république dans laquellele créole serait, en priorité, véritablement aménagé au titre d’une langued’enseignement et d’une langue enseignée.
Il faut prendre toute la mesure du fait qu’en dépit de laréforme Bernard de 1979 et jusqu’en 2014, le créole, langue maternelle, estencore la grande perdante des « réformes » et mesures administratives« réformistes » prises par l’État. À l’heure actuelle, plusieurs« réformes » ou mesures « réformistes » se chevauchent dansles systèmes haïtiens d’éducation : la réforme Bernard de1979; le PNEF (Plan national d’éducation et de formation) de1997-1998; la Stratégie nationale d’action pour l’éducation pourtous de 2007; le Plan opérationnel 2010 – 2015. Dans ce contexte,l’enseignement du créole et en créole demeure limité et s’effectue selon unrapiéçage de « méthodes » diverses –et l’étude de Renaud Govainlève le voile là-dessus de manière argumentée. En revanche, la balkanisation del’École haïtienne est aujourd’hui une donnée avérée et les deux études n’ontpas été en mesure de l’illustrer jusqu’à emporter l’adhésion. Ainsi, nombred’observateurs et d’enseignants assument que « Le système éducatifhaïtien est un système à plusieurs vitesses… Chaque école se présentecomme un système éducatif à partentière. Il y a des écoles nationales, congréganistes, presbytérales,communales ». (…)Chacunde ces sous-groupes se présente comme un systèmeéducatif formant des Haïtiensdifférents, avec des qualités différentes, des objectifs différents, etquasiment incapables decohabiter ».(…)Lesystème éducatif actuel n’a pas les moyens de sa politique : ni les moyenspédagogiques, ni les ressources humaines, pour garantir son bon fonctionnement…[7]»Dansle même document auquel je me réfère, il est précisé qu’« Aujourd’hui,sur chaque 100 écoles, 85 appartiennent au secteur privé, à l’Église, aux ONG.Donc, comme ça, l’État n’a aucun contrôle, aucune capacité de contrôler laqualité de l’enseignement fourni par ces écoles[8]
En l’absence d’un bilan exhaustif de la réforme Bernard de 1979et des autres mesures « réformistes » de l’État haïtien, en l’absenced’une ample enquête sociolinguistique sur le fonctionnement de nos deux languesofficielles, la construction d’un savoir objectif de la réalité des languesd’enseignement à l’échelle nationale demeure relativement partielle etinsuffisante. Il en est ainsi des documents publics du ministère de l’Éducationnationale; tel a été le cas lors du colloque d’avril 2014 sur la qualité[9]de l’éducation en Haïti qui a ignoré la problématique deslangues d’enseignement; c’est également la faille du dernier-né du ministère del’Éducation nationale qui, sous la houlette de l’économiste Nesmy Manigat,vient de procéder à une énième « démarche profonde visant à réformer le systèmeéducatif » : l’installation début décembre 2014 de la Commissionnationale de la réforme curriculaire[10]. En clair, cequ’il importe surtout de retenir des différents documents de l’État haïtien àla suite de la réforme Bernard de 1979, ce qu’il faut préciser suite à denombreux colloques, assises, séminaires convoqués par l’État depuis 1979, c’estla quasi-démission de ce même État au chapitre du« droit àla langue maternelle». L’État n’est pasporteur d’un véritable projet d’aménagement du créole dans nos systèmesd’éducation, et en ce qui a trait au français langue seconde il laisse perdurerle statut quo de la confusion programmatique. Ainsi, depuis la réforme Bernardde 1979, l’État n’a pris aucune mesure législative afin d’aménager nos deuxlangues officielles tant dans l’École de la république qu’à l’Université.Installé dans le déni de la langue maternelle des créolophones, l’Étatnavigue souvent à vue et la faussaire propagande gouvernementale –au Lottocosmétique du PSUGO[11],de 2011 à 2014–, occupe invariablement une part importante des discoursministériels…
Crédit photo : Haïti Sun oPort-au-Prince, 5 mars 1961
Enfin il est essentiel de prendre encompte que les deux études laissent dans l’ombre une donnée historique majeurequi, par son rappel, permet d’appréhender et de mieux comprendre lasous-qualification des enseignants ainsi que l’ample différenciation socialedes clientèles scolaires dès le début des années 1980. En effet, avant 1957 etjusqu’au milieu des années 1980, l’École haïtienne formait principalement desécoliers issus des diverses couches urbaines plus ou moins « bilingues »et plus au moins « aisées » de Port-au-Prince et des grandes villes du pays.Cette École haïtienne répondait plus ou moins à leurs besoins scolaires dans unsystème pour l’essentiel francophone et linguistiquement élitiste. Sous lasanglante dictature des Duvalier, la migration forcée de centaines de milliersde paysans des provinces vers la capitale à partir des années 1964 adurablement modifié la configuration du tissu urbain de Port-au-Prince (41 % dela population du pays), irriguant les quartiers populaires, les bidonvilles etles quartiers résidentiels de dizaines de milliers de cohortes d’écoliers issusdes couches populaires créolophones qui allaient transformer et le moded’occupation de l’espace urbain et les caractéristiques de la demande scolaireau cours des années 1970 – 1980. Et dès les années 1960, ce sont des milliersde cadres de l’École haïtienne (enseignants, médecins, avocats, etc.) quigagnent l’exil (en Afrique, au Canada, aux États-Unis, en France, etc.) pouréchapper aux rafles mortifères de la dictature duvaliériste, privant ainsi lesystème éducatif de ressources professionnelles essentielles et déclenchant dèslors son entrée dans une sous-qualification accélérée dont il ne s’est toujourspas relevé. On retiendra donc que dès les années 1980, la majorité des élèvesdu système scolaire haïtien provenait des couches populaires unilinguescréolophones aux prises avec un apprentissage à la fois de la langue françaiseet celui concomitant des connaissances dispensées dans cette langue secondeapprise à l’école. Pour résumer : dès cette époque, l’École haïtienne n’estplus celle des différentes couches de la petite et de la moyennebourgeoisie bilingue français-créole. Elle est celle de centaines demilliers d’écoliers issus des couches unilingues créolophones du paysproduisant une demande scolaire différenciée au plan sociolinguistique etdidactique. C’est donc pour être en phase avec les caractéristiquesdémolinguistiques de cette époque que je parle désormais, au pluriel, dessystèmes scolaires haïtiens.
Par leurs études respectives, RenaudGovain ainsi queBenjaminHebblethwaiteet Michel Weberpermettent d’accéder à une meilleure connaissance de la problématique et desenjeux des langues d’enseignement en Haïti. S’il est attesté qu’environ 45% dela population du pays est aujourd’hui composée de jeunes de moins de 30 ans,l’on prendra toute la mesure de la priorité à accorder à une politiqued’aménagement des langues officielles en salle de classe –-champ majeur del’aménagement linguistique à l’échelle du pays. Qu’une telle politique soit à l’avenirpromue et garantie au plan législatif selon la vision du « droit à lalangue maternelle », on aura en amont balisé le chemin qu’il nousreste à parcourir vers la parité statutaire de nos deux langues officiellesdans les systèmes haïtiens d’éducation. Le défi est de taille, peu s’enfaut : pour y parvenir, l’État haïtien devra légiférer et planifier avecles responsables des écoles privées –qui administrent et financent environ 80%de nos écoles–, les modalités de l’aménagement des deux langues officielles,notamment et en priorité celles relatives à la langue qui unit tous lesHaïtiens, le créole (art. 5 de la Constitution de 1987).
DominiqueFattier (1998). « Contribution à l’étude de la genèse d’un créole : l’Atlas linguistique d’Haïti, cartes et commentaires
« La créolistique sepropose d’étudier une famille de langues qu’elle regroupe non pas en fonction deleur origine, mais en tenant compte de leurs conditions d’apparition. En effet,les langues créoles, contrairement aux autres langues, sont datables etlocalisables au sens où elles sont apparues au cours d’une période historiquecommune (entre le XVIe et le XIXe) et dans des contextes similaires ; ellessont des conséquences de la conquête du monde par cinq nations européennes :l’Espagne, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et le Portugal. Bien queles conditions nécessaires à leur apparition soient assez bien décrites,définies et attestées par de nombreux documents, elles ne sont pas suffisantes. »(Biennale d’histoire des théorieslinguistiques, septembre 2006, Ile de Porquerolles (Var); synthèse del’atelier A : Histoire de la créolistiqueanimé par Daniel Véronique et Alain Kihm).
Yves Dejean. Rebati, 12 juin 2010.
Sur la notion centralede « droits linguistiques »,sur celle du « droit à lalangue », voir Berrouët-Oriol, R., D., Cothière, R., Fournier, H., Saint-Fort(2011) : L’aménagementlinguistique en Haïti :enjeux, défis et propositions. Éditions du Cidihca et Éditions de l’Universitéd’État d’Haïti. Voir également Robert Berrouët-Oriol (2014) : Plaidoyer pour une éthique et une culturedes droits linguistiques en Haïti. Éditions du Cidihca (Montréal) et Centreœcuménique des droits humains (Port-au-Prince).
RenaudGovain (2014). « L’état des lieux du créole dans les établissements scolaires en Haïti ».
BenjaminHebblethwaite et Michel Weber (2012). « Le problème de l’usage scolaire d’une langue qui n’est pas parlée à la maison : le créole haïtien et la langue française dans l’enseignement haïtien ».
Analyse de Norbert Stimphil, membre du comité exécutif du Groupe de travail surl’éducation et la formation, GTEF). AlterPresse, 18 mai 2011 : Haïti-Éducation 2011 : la langue, la formationdes maîtres et les inégalités d’un système à repenser…
AnalyseAntonalMortimé, secrétaire exécutif de la Pohdh (Plateforme des organisationshaïtiennes des droits humains). AlterPresse,ibidem.
Robert Berrouët-Oriol (2014). « Plaidoyer pour une culture et une éthique des droits linguistiques en Haiti »; lien : http://www.berrouet-oriol.com/linguistique/amenagement-creole-et-francais
« lnstallation de la Commission nationale de la réforme curriculaire ». Haiti libre,4/12/2014.