Compte-rendu de lecture
Les créoles àbase française
Marie-Christine HazaëL-Massieux
Paris, Ophrys (“L’essentiel français”),2011, 166 p.
ParCristina Brancaglion
Bien que limité à un nombre depages trop réduit pour traiter de façon exhaustive de l’ensemble des créolesissus du français – limite dont l’auteure se plaint en quelques occasions – cemanuel, conçus pour les étudiants universitaires de premier cycle, parvientà trans- mettre la passion d’une spécialiste pour son objet de recherche età susciter cette nécessaire curiosité qui invite à creuser ultérieurementle sujet grâce aux pistes de lectures soigneusement sélectionnées.
Dans sa brève “Introduction”(pp. 1-5) HAZAËL-MASSIEUX rappelle quelques points importants concernantl’origine et la nature des créoles français, utiles pour s’affranchir dequelques stéréotypes. Elle rappelle en particulier leur genèse à partird’une variété non standard de français, un “français d’usage strictementoral marqué de formes régionales et populaires”, étant donné que “lescolons arrivés aux Antilles au XVIIe siècle, ne parlaient pas lalangue de la Cour, non plus que celle qui était écrite par les grands auteursdu temps” (p. 1). HAZAËL-MASSIEUX insiste en outre sur le fait que lescréoles sont désormais “de véritables langues […] dotées de systèmesphonologiques propres, de grammaires que le linguiste peut décrire à partir decorpus” (p. 3) et qui “comportent des différences importantes interdisantsouvent l’intercompréhension pour des locuteurs créolophones issus d’îleséloignées” (p. 2). Ces questions sont davantage approfondies dans le premierchapitre, “Les créoles à base française : données géographiques,historiques et sociologiques” (pp. 7-29), qui fournit des informations démographiqueset sociolinguistiques sur les deux aires principales de diffusion des créolesfrançais : la zone américano-caraïbe (louisianais, haïtien, guadeloupéen,martiniquais, guyanais, créole de La Dominique, créole de Sainte-Lucie) etcelle de l’Océan Indien (réunionnais, mauricien, seychellois). L’on apprendici que chacune de ces langues connaît en outre des phénomènes importants devariation, ce qui ne manque pas de poser des problèmes en vue de leur normalisation.Toujours dans ce chapitre, HAZAËL-MASSIEUX retrace l’évolution des attitudeslinguistiques des créolophones depuis les années 1980-1990 et évoque leursconséquences en termes de sécurité/insécurité linguistique; elles’interroge ensuite sur l’application de la notion de diglossie dans lesdiverses aires créolophones pour en conclure qu’il est préférable de parlerde bilinguisme, du moins pour les niveaux mésolectaux.
ÉTUDES LINGUISTIQUES
Le deuxième chapitre, consacréaux “Questions de phonétique et de phonologie” (pp. 31-40) évoque toutd’abord les phénomènes les plus fréquents, observés dans tous les créoles(la réduction des groupes consonantiques, la simplification du systèmesyllabique, la fréquence de la nasalisation contextuelle, la disparition desvoyelles labiales antérieures) ou qui concourent à les distinguer, comme parexemple la conservation du “r” et l’antériorisation des constrictivespalatales dans l’Océan Indien. Suivent une analyse plus détaillée dusystème phonologique guadeloupéen et un approfondissement sur le rôlestylistique, fonctionnel et syntaxique de l’intonation dans les languescréoles, phénomènes dont il faudra réussir à rendre compte, à l’écrit,à travers la ponctuation.
Le problème de la codificationgraphique des créoles revient dans le chapitre suivant, “L’écriture descréoles” (pp. 41-52), où l’auteure résume les démarches suivies à Haïti,dans les Petites Antilles et dans l’Océan Indien; elle insiste encore une foissur la nécessité de prendre en compte les aspects morphologiques et syntaxiques,en illustrant quelques “évolutions désastreuses induites par des choix graphiquesqui reposent sur de véritables erreurs d’analyse grammaticale” (p. 47). Cesdifficultés peuvent être saisies plus clairement après la lecture deschapitres IV (“Questions de morphologie”, pp. 53-76) et V (“Questions desyntaxe”, pp. 77-88) qui décrivent les tendances morphosyntaxiques principalesdes langues créoles, dans lesquelles le contexte d’utilisation et l’ordre desconstituants s’avèrent essentiels pour définir la catégorie grammaticale dumot et pour identifier les fonctions dans la phrase.
En venant aux “Questions delexique” (ch. VI, pp. 89-104), HA- ZAËL-MASSIEUX rappelle que les motscréoles sont le plus souvent (90%) issus du fonds français, qui a connucependant des évolutions différentes en France et dans les diverses zonescréolophones, ce qui créée de nombreuses divergences; à ce fonds s’ajoutentles apports des langues de contacts et, en nombre plus réduit, d’autreslangues étrangères (anglais, espagnol, portugais, arabe). Suivent une brèvedescription des procédés de création lexicale par composition et pardérivation, ainsi qu’une exploration critique des ouvrages lexicographiques –généralement bilingues – actuellement disponibles, qui fait ressortir degraves insuffisances et incohérences au niveau de l’analyse sémantique desmots.
Aussi, le chapitre VII,“Questions de sémantique” (pp. 105- 122), est-il une exhortation à étudiercet aspect encore négligé des créoles, dont les contrastes par rapport aufrançais sont cependant bien perçus à travers les travaux de traduction.HAZAËL-MASSIEUX suggère ainsi des pistes de recherche visant d’une part àétudier le contenu des mots à l’aide de l’analyse sémique et d’autre part às’intéresser à la valence des verbes créoles et aux valeurs sémantiques desstructures sérielles qui comportent plusieurs verbes.
Le chapitre VIII fournit quelquesrepères sur les “Usages lit- téraires et médiatiques des créoles” (pp.123-130), où l’on attire l’attention sur l’utilité d’Internet, qui met à ladisposition d’un public très large des écrits en créoles (œuvreslittéraires, interview, cours en créole) et qui suscite, à travers lesforums, des contextes d’usage plus spontanés par rapport à l’écritordinaire, “puisqu’on ne cherche pas directement à envisager la question del’écrit en termes de normativité ou de correction des énoncés” (p. 128).
En conclusion HAZAËL-MASSIEUXs’interroge sur “L’avenir des créoles” (pp. 131-138) et en particulier surleurs possibilités de survie “dans des situations de diglossie où ils sont[…] largement dévalorisés dans le contact quotidien avec une ‘grandelangue’ qui conserve à la fois tout le prestige de l’école, de lalittérature, mais aussi le prestige social et économique” (p. 131).
En annexe l’on trouvera: desillustrations des créoles français avec des extraits d’un conte de SylvianeTELCHID en guadeloupéen, d’une traduction de la Bible en haïtien et d’unechronique poé- tique de Robert GAUVIN en réunionnais, tous suivis de la traductionen français (“Quelques textes dans divers créoles”, pp. 139-145); des“Repères bibliographiques” (pp. 147-149) qui proposent une sélection desprincipales études, dictionnaires et atlas linguistiques disponibles pour lescréoles français; un “Glossaire” (pp. 151-163) explicatif des notions delinguistique utilisées; un “Index” (pp. 165- 166) qui permet la recherchetransversale des sujets traités.
Source : lingue.unimi.it