Tout ceque vous avez toujours voulu savoir sur les entités : langues, dialectes, patois sansjamais oser le demander à un linguiste
Hugues Saint-Fort
New York, mai2015
Du langageaux langues
Le titre de mon article est un clin d’œil au titre bienconnu du film de Woody Allen sorti en 1972 Toutce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander(Everything You Always Wanted to Know About Sex (But Were Afraid to Ask)) maisce texte que vous allez lire n’a rien à voir avec le film débridé du célèbreréalisateur américain. En effet, ce dont je vais parler dans cet article, c’estavant tout de linguistique, la science du langage et des langues. Pour leslinguistes modernes, le langage est une faculté innée propre à l’espèce humainequi permet aux êtres humains d’acquérir un système complexe de communicationappelé langue. La langue se présente sous forme de sons oraux qui se combinententre eux pour former des unités larges appelées morphèmes, mots, syntagmes, phrases et qui sont gouvernées par desrègles. Les linguistes prennent soin de distinguer ce qu’ils appellent une « compétence grammaticale »,notion fondamentale, centrale en linguistique, qui désigne la connaissanceimplicite de sa langue par le locuteur natif, et une « performance », c’est-à-dire sa pratique langagièreeffective qui, à la différence de la « compétence », est imparfaite.
La plupart des linguistes—spécialement ceux qui serattachent à la tradition générativiste—disent que le langage humain est inné,c’est-à-dire que nous sommes nés avec une capacité qui nous permet d’acquérirla faculté de langage et que nous sommes équipés pour apprendre une langue,plus précisément celle qui est parlée dans la société dans laquelle nousvivons. Les linguistes parlent alors de « prédisposition génétique »à apprendre une langue. Leur raisonnement est le suivant : commentexpliquer que dans toutes les sociétés humaines connues, tous les enfantsnormaux acquièrent une langue rapidement et sans difficulté aucune (généralemententre la naissance et l’âge de quatre ans), malgré le fait que les donnéeslinguistiques auxquelles ils sont exposés sont incomplètes et qu’ils nereçoivent pas le plus souvent des corrections grammaticales de la part deleurs parents?
Ainsi, en Haïti, vers l’âge de 4 ou 5 ans, tous lespetits Haïtiens ont acquis la langue créole et sont en mesure de communiqueravec leurs pairs, leurs parents, ou un étranger qui parle créole avec eux. Lemême phénomène se répète en France, en Allemagne, aux États-Unis, au Japon, au Mexique,…C’estdonc grâce à cette capacité innée pour acquérir le langage que les petits del’homme peuvent acquérir aussi rapidement une langue, le créole haïtien chezles petits Haïtiens, l’anglais chez les petits Américains, le français chez lespetits Français, l’espagnol chez les petits Mexicains, le japonais chez lespetits Japonais, etc… Un célèbre psycholinguiste américain, Steven Pinker, aécrit un livre qu’il a intitulé « The language instinct » (1994) (L’instinctde langage).
Parler de langue, c’est évoquer tout de suite le conceptde grammaire dont la signification peut être ambigüe pour un certain nombre delocuteurs, quelle que soit d’ailleurs leur première langue. Par exemple,certains croient qu’il existe des langues qui « n’ont pas degrammaire » ou que le peu de « grammaire » qu’elles possèdentest d’une simplicité primitive (Certaines personnes disent que c’est le cas pourles langues créoles). On retrouve cettecroyance chez un grand nombre de locuteurs haïtiens dont la langue natale estpourtant la langue créole. Si chez la majorité de ces locuteurs haïtiens, cetteinterprétation ou cette explication relève de préjugés qui leur ont étéinculqués par un système social brutal et particulièrement inégalitaire, pourune autre catégorie de locuteurs le plus souvent occidentaux, les grammaires deleurs langues natives qui sont dotées de systèmes flexionnels ou de marques indicatricesde genre et de nombre sont pour cette raison considérées supérieures aux grammaires des langues créoles.
Pour la majorité des linguistes modernes, le termegrammaire désigne les règles ou les principes qui régissent le fonctionnementd’une langue. En ce sens, toute langue naturelle possède une grammaire et cette grammaireconvient parfaitement à cette langue. On doit se garder de vouloir faireappliquer des règles ou des principes d’une langue X à une langue Y. Tous les locuteurs d’une langue sont dotés d’unegrammaire interne dans leur cerveau, ce que les linguistes désignent sous lenom de « compétence grammaticale »qui permet à ces locuteurs de comprendre des phrases qu’ils ont entenduespour la première fois ou de produire des phrases nouvelles qu’ils n’avaientjamais produites auparavant. L’une des hypothèses les plus intéressantes dulinguiste américain Noam Chomsky est qu’il existerait une « Grammaire Universelle »(GU), c’est-à-dire un ensemble de principes et paramètres qui permettent à tousles membres de l’espèce humaine d’acquérir le langage (Chomsky 1986). Chomskyprécise de la manière la plus claire que “we are not specifically predisposed toacquire the language of our biological parents, but to acquire whatever humanlanguage is presented to us in childhood.”(nous ne sommes pas spécifiquementprédisposés génétiquement à acquérir la langue de nos parents biologiques, maisà acquérir n’importe quelle langue humaine à laquelle nous sommes exposésdurant notre enfance). [ma traduction]. Cela veut dire par exemple que pournous Haïtiens vivant en Haïti, nos enfants vont parler le créole haïtien parceque: d’abord, ils sont des êtres humains dotés comme tous les autres êtreshumains de la faculté de langage acquise en naissant ; d’autre part, grâceà cette « Grammaire Universelle » (GU), ils seront en mesured’acquérir rapidement le kreyòl qui est la langue à laquelle ils auront étéexposés dans la société haïtienne. Si, après quelques mois, cet enfant quitteHaïti avec ses parents pour aller s’établir au Japon par exemple, ce sera enjaponais que cet enfant communiquera.
L’approche des « Principes et Paramètres » asuscité un bouillonnement de recherches chez les linguistes spécialisés dans latradition générativiste. Le linguiste haïtien Michel DeGraff (1999) a travaillésur une recherche mémorable concernant les connections entre l’acquisition dela langue, le changement linguistique et la créolisation en termes del’approche paramétrique.
Une grammaire (toute grammaire) possède un nombre fini derègles dont le locuteur fait usage pour produire ou générer un nombre infini dephrases. Ainsi, tout locuteur haïtien né et élevé en Haïti, à partir de laconnaissance implicite qu’il a de la grammaire de sa langue natale, le créolehaïtien, L1, est en mesure de comprendre et de produire un nombre infini dephrases créoles qu’il n’avait jamais produites auparavant. Sur la base de cetteconnaissance implicite, il peut aussi rejeter toute phrase qui n’est pasconforme aux principes et règles de la langue créole. Pour les linguistes,connaitre une langue, particulièrement sa langue maternelle, c’est maitriser unsavoir linguistique, c’est-à-dire fondamentalement une syntaxe comprise comme l’ensemble des règles qui permettent de former des phrases grammaticales etune sémantique définie comme « l’ensemble des règles et principes mis enjeu dans l’interprétation des phrases » (Pollock 1998). Selon le linguistefrançais Jean-Yves Pollock (1998 : 15), « apprendre une langue c’est donner l’occasion à la faculté delangage, GU, de déployer sa richesse et sa complexité. C’est pourquoi L 1croît chez tout homme, quelle que soit sa communauté linguistique, sansvéritable apprentissage. »
Langues etdialectes
On attribue généralement au linguiste Max Weinreich cetteremarque sur la distinction entre une langue et un dialecte selon laquelle unelangue est un dialecte avec une armée et une marine. Cette distinction émisedans les années 1950 devrait être prise comme une boutade et rares sont leslinguistes qui la prendraient au sérieux de nos jours. Tous les linguistessavent que définir une langue est loin d’être une tâche facile car la languerevêt de multiples aspects. En effet, elle peut être un fait social, unensemble de structures, une réalité mentale, ou un système grammatical qui permetaux locuteurs de construire des phrases acceptables dans une communautélinguistique donnée. Les linguistes générativistes distinguent clairement deuxtypes de langues : ce qu’ils appellent une langue interne ou L1 ou (I-language, chez les linguistesanglophones) et ce qu’ils appellent une langue externe ou (E-language, chez les linguistes anglophones). (Smith1994: 646) à la suite de Chomsky explique que « E-language is the ‘external’ manifestation of the ‘internally’ (i.e.mentally) represented grammars (or I-languages) of many individuals.E-languages are the appropriate domain for social, political, mathematical orlogical statements; I-languages are the appropriate domain for statements aboutindividual knowledge.” (La langueE est la manifestation ‘externe’ des grammaires représentées ‘intérieurement’(c’est-à-dire mentalement) (ou L1) de la majorité des individus. Les langues Ereprésentent le domaine approprié pour les déclarations sociales, politiques,mathématiques, ou logiques. Les langues internes représentent le domaineapproprié pour les déclarations sur la connaissance individuelle) [matraduction].
Plus que le terme langue, le terme dialecte soulève des interrogations longtemps restées sans réponse.En Haïti, le sens commun garde une conception assez péjorative du terme. Quandcertains Haïtiens qualifient le kreyòl de « dialecte », c’est d’une manière péjorative : ils levoient en tant que moyen de communication inférieur qui n’a pas d’écriture etqui n’est parlé que par des analphabètes ou des paysans pauvres et ignorants. Cen’est pas du tout le point de vue qui prévaut dans la conception moderne deslinguistes. Précisons que le terme accentcomporte des sens différents : il peut se rapporter à une marque diacritique, par exemple l’accent dit aiguen français sur la première voyelle « e » du mot « armée »,la seconde voyelle « e » étant considérée comme un « e » muet.Ce n’est pas de ce sens du mot accent que nous parlerons aujourd’hui.
Tout d’abord, il faut éviter de confondre « dialecte » et « accent ». Tout locuteur parle avec un accent car unaccent est d’abord une affaire de prononciation. Dire d’un locuteur qu’il a unaccent veut dire par exemple que cette personne parle avec un accent régionalassez éloigné de « l’accent standard » (s’il existe officiellement un« accent standard » dans la communauté linguistique en question).Cette personne par exemple, prononce de manière non orthodoxe certainesvoyelles ou certaines consonnes, place les « stress » aux mauvaisendroits, révèle une intonation inhabituelle dans la langue en question.
En revanche, quand on dit de quelqu’un qu’il parle« sans accent », cela signifie que cette personne parle avec unaccent standard, c’est-à-dire celui qui est accepté comme correct et qui estbien établi dans la communauté linguistique en question ; cette expressionpeut aussi vouloir dire que ce locuteur,bien que sa langue maternelle (L1) ne soit pas la langue couramment en usagedans la société concernée, s’exprime comme un « enfant du pays ».(Bauer 2007).
En fait, les linguistes s’opposent à ces façons de voir. Pourles linguistes, aucun locuteur ne parle sans accent. Tout le monde possèdecertains traits particuliers de prononciation et ce sont justement ces traitsqui constituent un accent. Donc, tout locuteur possède un accent et le révèledès qu’il ouvre la bouche. En Haïti par exemple, on dit de la majorité deslocuteurs du Nord qu’ils parlent kreyòl avec un accent, ce qui n’est pas faux, maisil faudrait tout de suite ajouter qu’ils ne sont pas les seuls à parler lalangue kreyòl avec un accent puisque les locuteurs de la région du Centre ou dePort-au-Prince ou du Sud ont aussi l’accent de leur région.
Toutes les langues sont constituées de divers dialectes. Pourles linguistes, aucun dialecte n’est supérieur à un autre sur un plan purementlinguistique. Tous les dialectes sont des variétés systématiques de langue quisuivent des modèles réguliers de choix du vocabulaire, de grammaire, et de prononciation.Alors, qu’est-ce qu’un dialecte ?
Lesociolinguiste britannique Peter Trudgill (2003 : 35) définit le terme« dialecte » comme « Avariety of language which differs grammatically, phonologically and lexically fromother varieties, and which is associated with a particular geographical areaand/or with a particular social class or status group. … (Une variété de langue qui diffère grammaticalement,phonologiquement, et lexicalement d’autres variétés, et qui est associée avecune aire géographique particulière et/ou avec une classe sociale particulièreou un statut de groupe…) [ma traduction]. Dans la plupart des sociétés occidentales, onfait une distinction nette entre une variété standard et une variété nonstandard,(par exemple, en anglais « Standard English » et « NonstandardEnglish », en français, le « français standard » et le« français nonstandard »). Il est important de comprendre cependant quepour les linguistes, la variété standard d’une langue n’est qu’un dialecteparmi d’autres de cette langue. Pour des raisons quirelèvent de l’histoire, de la géographie, ou de l’hégémonie d’une classesociale sur d’autres, ce dialecte a triomphé sur les autres et a reçu un statutspécial dans la société, il n’en demeure pas moins qu’il n’est qu’un dialecteparmi d’autres. Ce qu’on appelle aujourd’hui la « langue française »n’est que la sélection par les classes dominantes françaises d’une des variétésen usage sur le territoire français, valorisant leur dialecte au détriment desdialectes voisins (Lodge, 1997).
Comment établir une distinction entre langue et dialecte ? Traditionnellement, les linguistes mettent en placele critère de la compréhension mutuelle pour décider si deux variétésrattachées par des liens historiques et géographiques constituent des languesdistinctes ou non. En fait, les choses sont beaucoup plus compliquées. La distinctionentre une langue et un dialecte se présente beaucoup plus comme une distinctionpolitique qu’une distinction linguistique. Le cas du norvégien et du danois estsouvent cité par les linguistes pour illustrer la nature sociopolitique de ladistinction entre une langue et un dialecte. (Mesthrie 2004). Pendant environquatre siècles, la Norvège a été dirigée par le Danemark. Le danois a été alorsconsidéré la langue officielle tandis que le norvégien était considéré comme undialecte du danois. Cependant, à la proclamation de l’indépendance politique dela Norvège en 1814, le norvégien fut déclaré une langue officielle, distinctedu danois.
Donc, le terme dialectepeut se référer à trois propositions différentes : un parler spécifiquequi résulte d’une évolution diachronique différenciée. En ce sens, il n’est pasexagéré de considérer que les langues dites « romanes », c’est-à-direle français, l’italien, l’espagnol, le portugais et le roumain, représententdes évolutions du latin et sont donc des dialectes de cette langue.
Il peut se référer aussi à une variété distinctiverégionale d’une langue qu’on identifie par un ensemble de mots, expressions etstructures grammaticales. En Haïti, la variété régionale la plus facilementidentifiable est la variété parlée dans le Nord qui comporte des constructionsinconnues des autres variétés : par exemple, le segment « a » précédant un possessif (pitit an m / pitan m) au lieu de pitit mwen, courant dans le dialecte dePort-au-Prince. Dans ce syntagme nominal, par assimilation, le segment a s’est nasalisé au contact de la nasalem pour devenir an.
Le terme dialectepeut se référer aussi à une variétésociale d’une langue. Les linguistes nomment dialectes sociaux (sociolectes) ou dialectes de classes les dialectes qui identifient la position d’unlocuteur sur une échelle sociale. La question d’un dialecte de classe dans lacommunauté linguistique haïtienne se révèle ardue à trancher dans la mesure oùil existe une autre langue en usage (même si cette langue n’est utilisée quepar une minorité de locuteurs, entre 5 et 10%) dans la société haïtienne).
Le contact avec la langue superstrat (le français, dansle cas des créoles à base française, l’anglais dans le cas des créoles à baseanglaise) peut à long terme amener à une décréolisation. Dans une telle situation,il se développe tout un éventail de variétés linguistiques entre le créole etla langue superstrat. Les linguistes ont retenu trois systèmesprincipaux : le basilecte,l’acrolecte et le mésolecte.
Les linguistes désignent sous le nom de basilecte la variété qui est la pluséloignée de la langue lexificatrice, le français dans le cas d’Haïti. Onattribue à cette variété le statut social le plus bas.
Sous le nom d’acrolecte,les linguistes caractérisent la variété qui est la plus proche de la languesuperstrat en Haïti, le français. Hormis quelques particularités deprononciation telles l’accent ou des spécificités lexicales ou syntaxiques, lavariété acrolectale est à peine différente du français.
Le mésolectedésigne dans la terminologie des linguistes spécialisés en créolistique la oules variétés placées linguistiquement et socialement sur une ligne de continuumentre le basilecte et l’acrolecte.
Il est important de préciser que les deux langues créolesdu Nouveau Monde qui ont fait l’objet d’études empiriques révélant la présenced’un post-créole continuum ou d’une émergente décréolisation restent celles de laJamaïque et de la Guyane anglaise (Bickerton 1975). A ma connaissance, iln’existe pas encore en Haïti d’étudesempiriques sur la variation qui soient basées sur le phénomène d’unedécréolisation en direction du français. (Voir cependant la plus récente étudedu linguiste Albert Valdman et alii intitulée On the influence of the standard norm of Haitian Creole on the CapHaïtien dialect et parue dans Journalof Pidgin and Creole Languages, volume 30, #1, 2015.)
Dialecteset patois
La réalité linguistique à laquelle on a donné le nom de patois a pratiquement disparu en Franceà l’époque contemporaine. Arrivé et alii (1986 : 493) le définissentainsi : Parfois utilisé comme exactéquivalent de dialecte régional, le terme patois comporte plusfréquemment une connotation assez nettement péjorative : il désigne alorsles dialectes lorsqu’ils sont réduits à un petit nombre de traits(essentiellement phonétiques et lexicaux) et utilisés sur une aire réduite,dans une communauté déterminée, le plus souvent rurale, dans des circonstances limitées :conversations familiales ou professionnelles (rurales).
Le terme est utilisé dans certaines iles créolophones dela Caraïbe, particulièrement la Dominique et Sainte-Lucie pour désigner leur vernaculaire,mais surtout à la Jamaïque pour faire référence au parler de tous les jours deslocuteurs de cette ile, parler que les linguistes reconnaissent comme unclassique créole. Cependant, beaucoup de locuteurs jamaïcains préfèrent appelerleur langue « patwa ». Commentcette appellation a-t-elle pu pénétrer dans le lexique du créolejamaïcain ? Nous supposons que c’est à la faveur des mouvements depopulation au XVIIe – XVIIIe siècle qui ont affecté la Guadeloupe, laMartinique, Saint-Domingue, Trinidad où a existé un créole français et qu’il aété introduit par les colons français. Cette appellation est retrouvée dans ledocument « Lettre en patois créole » de Marc-Antoine De Wailly à satante Hecquet écrite le 9 juillet 1772.
Il fut un temps où le sens du mot dialecte se confondait presque avec celui du mot patois. Cependant, on a fini par mettreen valeur une différence de taille entre les deux termes et le linguistefrançais André Martinet, dès les années 1960, a marqué une différence netteentre les deux termes. Patois alongtemps été péjoratif et désigne le parler local. Pour Martinet (1960), unesituation dialectale « peut assez vite dégénérer en une situationpatoisante analogue à celle que nous avons relevée en France. Il suffit pourcela que les progrès de l’unité nationale amènent un renforcement sensible de laposition de la langue officielle ».
Il n’y a jamais eu de patois à Saint-Domingue/Haïti, dansle sens où ce terme a été utilisé en France, même s’il a existé au XVIIIesiècle parmi d’autres termes concurrents tels jargon, baragouin, français corrompu, français déformé pourdésigner la langue de communication quotidienne de la colonie. C’est le terme « créole » qui s’estfinalement imposé pour désigner la langue utilisée aussi bien par les Noirsesclaves que par les colons blancs, après avoir servi à l’origine pour nommeruniquement les Européens nés et élevés dans les colonies, par opposition auxEuropéens nés dans la métropole, puis les esclaves nés à Saint-Domingue, paropposition aux esclaves nés en Afrique et connus sous le nom de bossales.
Ce querecouvre le terme « variété »
Tout au long de ce texte, j’ai utilisé le terme variétéqui est d’une pratique courante dans la langue de tous les jours mais qui revêtun sens plutôt technique en linguistique. En ce sens, il est employé par leslinguistes en tant que terme neutre pour décrire tout système cohérent decommunication dont se sert un groupe delocuteurs. Le terme recouvre donc les notions de dialecte, langue, registre, sociolecte, idiolecte...Pour Bauer (2007: 10), « Usingthe term variety is an attempt to avoid giving offence by theuse of a term which may be semantically or emotionally loaded because of itsordinary language use.” (L’usagedu terme variété est une tentative d’éviter de choquer par l’emploi d’un termequi peut être sémantiquement ou émotionnellement lourd de sens à cause de sonutilisation dans le langage ordinaire.)
Le terme variétépeut aussi être utilisé pour désigner différentes formes d’une même langue,comme le français de France, le français du Québec, le français de Belgique, …ou encore l’anglais américain, l’anglais britannique, l’anglais australien,l’anglais canadien… ou encore le créole haïtien, le créole guadeloupéen, lecréole martiniquais, le créole mauricien…pour ne parler que des créoles à basefrançaise.
Référencescitées :
Arrivé, M., Gadet, F., Galmiche, M. (1986) La grammaire d’aujourd’hui. Guidealphabétique de linguistique française. Paris : Flammarion.
Bauer, Laurie (2007) TheLinguistics Student’s Handbook. New York: OxfordUniversity Press.
Bickerton,Derek (1975) The Dynamics of a CreoleSystem. Cambridge: Cambridge University Press.
Chomsky,Noam (1986) Knowledge of Language. NewYork: Praeger.
DeGraff,Michel (ed.) (1999) Language Creation andLanguage Change. Creolization, Diachrony, and Development. Cambridge,Massachusetts, MIT Press.
Hazaël-Massieux, Marie-Christine (2008) Textes anciens en créole français de laCaraïbe. Histoire et analyse. Paris : Publibook.
Lodge, R. Anthony (1997) Le français. Histoire d’un dialecte devenu langue. Paris :Fayard.
Martinet, André (1960) Éléments de linguistique générale. Paris: Armand Colin.
Mesthrie, R. et alii (2004) Introducing Sociolinguistics. Philadelphia:John Benjamins Publishing Company.
Pinker,Steven (1994) The Language Instinct. NewYork: Harper-Collins Publishers.
Pollock, Jean-Yves (1998) Langage et Cognition. Introduction au programme minimaliste de lagrammaire générative. Paris: PUF
Trudgill,Peter (2003) A Glossary of Sociolinguistics. Edinburgh: Edingburgh UniversityPress.
Pour allerplus loin :
Calvet, Louis-Jean (2004) Essais de linguistique. La langue est-elle une invention deslinguistes ? Paris: Plon.
Chomsky,Noam (2009) Cartesian Linguistics. Achapter in the History of Rationalist Thought. Third Edition. Cambridge:Cambridge University Press.
Chomsky,Noam (1988) Language and Problems ofKnowledge. The Managua Lectures. Cambridge, Massachusetts, The MIT Press.
Boyer, H. (2010) Pourune épistémologie de la sociolinguistique. Limoges : Lambert-Lucas
Martin, Robert (2008) Comprendrela linguistique. Épistémologie élémentaire d’une discipline.
Milroy,J. & Milroy, L. (1999) Authority inLanguage. Investigating Standard English. New York: Routledge, ThirdEdition.
NOTES
[1]Dans l’orthographe française, on appelle « signes diacritiques »des signes comme les accents, la cédille et le tréma. Leur fonction est deconstituer grâce aux 26 lettres de l’alphabet des unités supplémentaires dansle système écrit de la langue.
Les linguistes distinguent généralementtrois variétés de créole parlées en Haïti : le kreyòl parlé dans le Nord,celui utilisé dans le Centre et dans la région de Port-au-Prince, et celui enusage dans le Sud.
Cf. Trudgill (2003: 35) “Strictly speaking, standard varieties suchas Standard English are just as muchdialects as any other dialect. (Dans un sens strict, les variétés standard comme l’Anglais Standard sont tout aussi bien des dialectes que n’importe quelautre dialecte.) [ma traduction].
Les linguistes parlent de décréolisationquand une langue créole, grâce à un contact prolongé avec les locuteurs de salangue source, reçoit alors uneinfluence linguistique marquée par cette langue source en raison de son hautprestige (Trudgill 2003).
Cf. Marie-Christine Hazaël-Massieux(2008): « Textes anciens en créoles français de la Caraïbe. Histoire etanalyse » Paris : Publibook.
Sous le nom d’idiolecte, les linguistes désignentle dialecte d’un locuteur unique.