Petite histoire du dictionnaire
Par Le Larousse
Dictionnaire (latinmédiéval dictionarium, de dictio, -onis, discours)
Ouvrage didactique constitué par un ensembled’articles dont l’entrée constitue un mot, indépendants les uns des autres etrangés dans un ordre déterminé, le plus souvent alphabétique.
Qu’ils soient œuvre individuelle, comme ledictionnaire de Furetière, ou collective, comme l’Encyclopédiedes Lumières, écrits par des lexicographes ou des amateurs éclairés, lesdictionnaires et les encyclopédies, ouvrages didactiques où l’on essaie defixer, par un discours fragmenté en articles, l’univers des mots et des choses,sont le miroir de la civilisation qui les a produits. Ils adoptent unordre thématique (en fonction des choses) ou, plus souvent, alphabétique (enfonction des mots).
La nomenclature (la liste des entrées) dudictionnaire est généralement classée selon l’ordre alphabétique.Celui-ci est le plus souvent direct (dictionnaire de langue) et suppose que lagraphie des mots est fixée, ce qui n’est, en français par exemple, qu’unphénomène récent (xviiie-xixe s.) ; il estparfois inverse (dictionnaire de rimes, de mots croisés). Cependant d’autresclassements sont possibles (systématique, sémantique, etc.).
Les différents types de dictionnaires
Le dictionnaire et l’encyclopédie
Les dictionnaires présentent des types variés.Il faut principalement distinguer entre dictionnaires de langue etdictionnaires encyclopédiques. Les premiers s’attachent à éclairer lelexique, les seconds y ajoutent les noms propres et renseignent sur lesréalités (les sciences, les lettres, les arts…). Les dictionnaires delangue se divisent à leur tour en ouvrages monolingues, d’une part, quifournissent, dans une langue donnée, des informations sur les mots de cettelangue (sens, orthographe, prononciation, étymologie, emplois…), et en ouvragesbilingues ou multilingues, d’autre part, qui donnent les équivalents des motsdans une ou plusieurs langues étrangères (dictionnaires français-latin,anglais-français-arabe…).
Face aux dictionnaires généraux, qui tiennentcompte de tous les aspects de la vie et de la connaissance, il existe desdictionnaires spécialisés, où figurent les mots ou les noms propres ayant traità un domaine déterminé (littérature, médecine, musique, économie). Un autretype de spécialisation consiste à présenter exclusivement, mais de manièresélective et bien plus approfondie que dans un dictionnaire général, unerubrique particulière (dictionnaire étymologique), ou encore à établircertaines correspondances entre les mots de la langue (dictionnaires dessynonymes, des antonymes, analogique). Enfin, un dictionnaire peut s’attacher àun état de langue délimité historiquement (vieux russe, latin médiéval),géographiquement (variété dialectale) ou socialement (argot).
Le dictionnaire général de langue
Les dictionnaires de langue peuvent différersur bien des points. Tout d’abord, ne visant pas le même public, ils neretiennent pas le même nombre de mots. Ceux dont nous disposons aujourd’hui enFrance, par exemple, se rangent en deux grandes catégories ; le nombred’entrées y varie de 50 000 à 60 000, avec des articlesplus ou moins sommaires, dans un dictionnaire d’usage courant, à plusde 150 000, avec des articles très étoffés, dans des ouvragesd’envergure, en plusieurs volumes.
L’établissement d’une nomenclature peut êtresoumis à divers critères. Celui de la fréquence des mots permet dedégager, entre autres, le vocabulaire dit « fondamental » d’unelangue. Mais d’autres choix s’imposent : faut-il introduire des motsargotiques ou populaires, des mots archaïques, des régionalismes (au senslarge : qu’il s’agisse, pour le français par exemple, des provincialismesou des particularismes de tel ou tel pays francophone), ou encore des motsempruntés à d’autres langues ? Comment circonscrire d’ailleurs la langue, entreécrit et oral ? Les linguistes insistent sur le fait que c’est dansl’oralité qu’elle vit et change, mais les témoignages sont recueillis à dessources écrites. Par ailleurs, le traitement lexicographique est plus ou moinsriche et ambitieux. Tel dictionnaire donnera l’étymologie des mots, sans leurdate d’apparition, tel autre précisera la datation de chaque sens ainsi que lelieu de la première occurrence ; les exemples illustrant les définitionsseront tantôt forgés par les lexicographes, tantôt puisés dans les œuvreslittéraires. Enfin, l’indication du niveau de langue exprime les choixdes auteurs. Ainsi, le mot « gonzesse » sera signalé, selon lesouvrages, comme « populaire », « vulgaire » ou« argotique ».
L’illusoire objectivité du dictionnaire
Ce qui est vrai pour un dictionnaire de langue– à savoir qu’il ne peut enregistrer objectivement l’usage, qu’il nephotographie pas la langue, mais en donne une certaine vision – l’est pourtout dictionnaire. Ce type d’ouvrage rend compte, certes, de l’état desrecherches dans les diverses disciplines, mais il ne saurait échapper auxinterprétations philosophiques et aux jugements de valeur esthétiques ouéthiques, car d’une part il relève de la subjectivité des auteurs, etd’autre part il reflète les courants de pensée et les mentalités, voire lesbatailles intellectuelles caractéristiques de la société où il voit le jour.C’est ainsi que le Dictionnairede Trévoux (1704), édité par les jésuites, attaque le jansénisme du Dictionnairefrançais (1680) de Pierre Richelet, ou que le positivisme d’Auguste Comte peut se lire à travers les articles du Dictionnairede la langue française d’Emile Littré.
Cependant, un ouvrage encyclopédique estprésenté, vu le didactisme inhérent à sa nature, comme le bilan d’un savoirdéfinitivement acquis, consensuel, sorte de vérité minimale, acceptéepar tous ; ce qui n’empêche pas qu’il puisse jouer pleinement son rôlepédagogique : ne pas se contenter d’affirmations magistrales, maisformuler des problématiques et faire explicitement état des interrogations del’épistémologie contemporaine.
Le dictionnaire sous l’Antiquité
Les plus lointains ancêtres de nosdictionnaires sont les listes bilingues akkadien-sumérien (2400 avant J.-C.),les listes de mots rares ou difficiles de la Grèce antique, extraits parexemple des poèmes d’Homère par Protagoras d’Abdère (ve s.avant J.-C.), ou les dictionnaires chinois (iie s. avantJ.-C.). Son œuvre fait du grammairien latin Varron (ie s. avant J.-C.) à la foisun lexicographe et un encyclopédiste avant la lettre. Dans les premiers sièclesde notre ère, on produit de nombreux « glossaires », qui témoignentde l’intérêt que l’on porte alors à la philologie : Verrius Flaccus (ie s.)compose un recueil de mots latins difficiles, remanié au iie s.par Festus ; Julius Pollux (iie s.) rédige quant à lui unrecueil de synonymes.
Le dictionnaire au Moyen Âge
Au début du viie s., les Étymologiesou Origines d’Isidore deSéville renferment le savoir profane et religieux du temps ; l’œuvre seraconsultée pendant tout le Moyen Âge. Ce sont les Arabes qui s’illustrent ensuitepar leurs travaux lexicographiques : Khalil ibnAhmad (viiie s.) rédige le premier dictionnaire de la languearabe, Ibn Durayd (ixe-xe s.) un dictionnaire quiregroupe l’ensemble des dialectes arabes et un autre où il étudie l’étymologiedes noms propres. En Occident apparaissent bientôt de nombreuses sommesdidactiques, dont le célèbre Speculum majus (« le GrandMiroir »), de Vincent deBeauvais (vers 1244), puis divers « vocabulaires », listes de motsbilingues, dont le Vocabulary in French and English (1483), de WilliamCaxton
Le dictionnaire à la Renaissance
Deux ouvrages médiévaux, remaniés et développéspar des humanistes aux xve et xvie s., ont jouéun rôle important : le Catholicon, de G. Balbus (xiiie s.),modèle du dictionnaire universel, et le Dictionarium (1502) d’AmbrogioCalepino, qui, au fur et à mesure de ses éditions successives, est devenu lepremier dictionnaire vraiment multilingue (onze langues en 1588, après avoirété bilingue latin-italien à ses origines). À la Renaissance, l’invention del’imprimerie et les besoins des traducteurs entraînent une multiplicationdes dictionnaires. Le premier à porter ce titre en français paraît en 1538(Dictionnaire français-latin de RobertEstienne) ; le mot désigne alors des ouvrages bilingues, un dictionnaire monolingueétant appelé « thesaurus » (« trésor »). Parallèlement, leterme encyclopédie est utilisé pour la première fois comme titre decompilations érudites.
Le dictionnaire au xviie s.français
Le premier dictionnaire de la langue française(publié en 1606), adaptation de celui de Robert Estienne, est l’œuvre de Jean Nicot. Mais c’est surtout à la fin du xviie s.que sont publiés, à quelques années d’intervalle, trois grands dictionnairesconsacrés à la langue française : celui de PierreRichelet (1680), celui de l’Académie (1694) et, précédant de peu ce dernier, celuid’AntoineFuretièreDictionnaireuniversel, 1690, qui valut à son auteur d’être exclu de l’Académie pour concurrencedéloyale). Ils se donnent tous trois pour but de « purifier » lalangue, d’en fixer le bon usage. Le dictionnaire est alors normatif : ilindique des règles à suivre pour le bon usage de la langue.
Le dictionnaire au siècle des encyclopédies
Pierre Bayle ne tarde pas à publier son fameux Dictionnairehistorique et critique (1696-1697), rendant déjà un grand culte à laraison. En Grande-Bretagne, après le Lexicon technicum (1704), de JohnHarris, EphraimChambers publie en 1729 la Cyclopaedia, qui consacre le titre et legenre ; elle servit de modèle à l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, desarts et des métiers (1751-1772), dirigée par Diderot et d’Alembert. Cette œuvremonumentale, largement illustrée de planches didactiques, reflète la penséephilosophique des décennies prérévolutionnaires et connaît un très grandsuccès. Elle a été précédée, en Allemagne, par le GrossesvollständigesUniversal Lexicon (1732-1750), la première encyclopédie à faire entrer lescontemporains et à adopter l’anonymat des articles.
La Révolution et le droit des mots
Pendant près de cent cinquante ans, après latriade française de la fin du xviie s., les dictionnaires ontcontinué, en France, à recueillir le « beau langage ». Les jésuitesétaient partis du dictionnaire de Furetière pour la rédaction du Dictionnairede Trévoux (1704), lequel fit autorité tout au long du xviiie s.De 1718 à 1835, l’Académie a publié cinq versions nouvelles de son Dictionnaire.Mais la Révolution est passée par là et, comme le fait remarquer Sainte-Beuve à l’Académie vers le milieu du xixe s. :« Aujourd’hui, tous les mots plébéiens, pratiques, techniques, aventuriersmême, crient à tue-tête et font violence pour entrer… Je les vois se dresser enfoule, frapper à la porte du Dictionnaire de l’usage et vouloir en forcerl’entrée. »
L’Académie reste cependant résolument puristeet le changement va venir, en France, d’Émile LittréPierreLarousse. Le premier, dans le Dictionnaire de la langue française(1863-1873), enregistre l’usage contemporain, n’hésitant pas à accueillir destermes techniques, des néologismes et des mots de la langue parlée, y comprisdes mots régionaux ; son dictionnaire demeure, aujourd’hui encore, grâce àla finesse des analyses sémantiques et au choix des citations (qui font unelarge place à l’ancien français), un monument dont les lettrés aiment àsavourer la « lecture ». Quant au GrandDictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, publié entre 1866 et 1876,il a réduit considérablement la distance entre le dictionnaire etl’encyclopédie (les mots n’étant parfois que l’occasion de longsdéveloppements sur les choses) et se distingue par ses prises de positionpolitiques et sociales clairement affichées.
Au xixe s., de nombreuxdictionnaires marquants sont publiés dans le monde : l’AmericanDictionary of the English Language (1828), de Noah Webster, lesdictionnaires de la langue allemande des frères Grimm (1854) et de Konrad Duden (1880), ainsi que leOxford English Dictionary (1884-1928).
Le dictionnaire à l’époque contemporaine
Au xxe s., de nouvellestendances se dessinent. Du côté des dictionnaires, il faut noter, en France,les descendants multiples du « Larousse », la parution du« Robert » (1953-1964) et, plus près de nous, celle du Trésorde la langue française (vaste inventaire de la langue des xixe etxxe s.). Par ailleurs, le « petit » dictionnaire delangue en un volume se généralise et fait désormais partie de la viequotidienne.
Enfin, le développement de l’informatique aouvert la voie aux dictionnaires électroniques, tel Zyzomys, puis auxdictionnaires et aux encyclopédies multimédias, tels Axis et le DictionnaireHachette Multimédia, Encarta de Microsoft, le Larousse MultimédiaEncyclopédique, etc.
Les grands dictionnaires français
: Dictionnaire français-latin, parRobert Estienne.
: Trésor de la langue française,par J. Nicot.
: Dictionnaire français contenant lesmots et les choses, par P. Richelet.
: Dictionnaire universel, parA. Furetière.
: Dictionnaire de l’Académie française(9e édition en cours de publication depuis 1986).
1696-1697 : Dictionnaire historique et critique,par P. Bayle.
: Dictionnaire universel français etlatin de Trévoux.
1751-1772 : Encyclopédie ou Dictionnaire raisonnédes sciences, des arts et des métiers, par Diderot et collab.
: Dictionnaire national, parBescherelle.
: Dictionnaire de la langue française,par É. Littré.
: Grand Dictionnaire universel du xixe s.,par P. Larousse.
1890-1900 : Dictionnaire général de la languefrançaise, par Adolphe Hatzfeld, Arsène Darmesteter et Antoine Thomas.
1953-1964 : Dictionnaire alphabétique etanalogique de la langue française, par P. Robert et A. Rey.
: Dictionnaire du françaiscontemporain, par Jean Dubois et collab.
1971-1994 : Trésor de la langue française(Dictionnaire de la langue du xixe et du xxe s.)[à l’initiative du CNRS, dirigé par Paul Imbs, puis par Bernard Quemada].
Source : Le Larousse