Présentation par Anthony Phelps de l’histoire du mouvement « Haïti Littéraire ». Première version parue sur le site Île en île; texte revu, modifié et reproduit
avec l’aimable autorisation de l’auteur.HAÏTI LITTÉRAIRE : RUPTURE ET NOUVEL ESPACE POÉTIQUE,
EXEMPLAIRE FRATERNITÉ
Parler d’Haïti Littéraire signifie citer beaucoupde noms, des noms de gens qui appartiennent à la littérature et aux disciplinesde la création.
Afinde mieux situer les cinq poètes du groupe HaïtLittéraire : Villard Denis dit Davertige, Serge Legagneur, RolandMorisseau, René Philoctète, Anthony Phelps, il est indispensable de planter le décor où ils ont évolué, de décrire l’atmosphèrequi régnait au moment où ils se sont reconnus pour la première fois ; de nommerles aînés qu’ils fréquentaient ; ainsique certains jeunes qu’ils ontencouragés dans la voie de l’écriture.
Jedois souligner que les Cinq étaient six.
Nousétions six au départ, mais AugusteThénor se sentant plus proche d’un militantisme syndical, de moins en moinsparticipait à nos rencontres délaissant la pratique quotidienne de l’écriturepoétique, pour une activité plus concrète : la lutte syndicale et un engagementdans la lutte contre la dictature de Duvalier. Après deux arrestations, AugusteThénor devait mourir au Fort Dimanche, haut-lieu de la torture duvaliériste, endécembre 1974, il faisait partie de la cellule numéro 1.
Lesgrands moments de la vie du groupe HaïtiLittéraire ont donc été vécus et dynamisés par Villard Denis dit Davertige,Roland Morisseau, Serge Legagneur, Anthony Phelps et René Philoctète.
Ledécor : divers lieux
RadioCacique, 5 rue Bellevue, Pacot. À Port au Prince. En 1961, avec deux beaux-frères, j’ai fondéla Station Radio Cacique, avec l’intention de créer une radio éducative etculturelle. Programmes d’initiation à la musique, émissions pour enfants, théâtre radiophonique, émissions de poésie,etc. Tout naturellement les locaux de la station sont devenus le point derencontre idéal pour les poètes.
44rue Faubert, à Pétionville. Chez moi.
LaGalerie Brochette, à Brochette, Carrefour.
LaGalerie Kalfou, à la ruelle Vaillant, Port-au-Prince.
Labibliothèque de Jean Fouchard, à Pétionville.
Chezles Neff, les beaux parents de Philoctète, à la rue Monseigneur Guilloux,Port-au-Prince.
ÀBourdon, quartier de Port au Prince, chez la romancière Marie Vieux Chauvet,avec laquelle nous allions développer une rare amitié.
Lessatellites
RéginaldCrosley : actuellement médecin aux États-Unis.
BérardSénatus : docteur en philosophie de la Sorbonne, actuellement doyende l’École normale supérieure d’Haïti.
RaymondJean-François écrivait des nouvelles. En 1964, après quatre semaines dansles prisons du dictateur, il part en France. En 1968, il est rentré en Haïtimener la lutte armée contre le régime. Il a été abattu, en juillet 1969, au CapHaïtien, au cours d’une descente des macoutes chez lui.
Jean-RichardLaforest : jeune poète fraîchement revenu de Moscou. Il a vécu à Montréaloù il a continué sa résidence en poésie, jusqu’à sa mort en 2010.
WoolleyHenriquez : poète, acteur, professeur de philosophie au Gabon. Vitactuellement à Miami. Il a été l’un desacteurs de la revue sonore Prisme, pour laquelle il devait écrire plusieurs pièces radiophoniques.
FranckÉtienne : jeune poète. À l’époque il n’écrivait pas encore ses nom etprénom en un seul mot : Frankétienne.
ÉmileOllivier écrivait des nouvelles et pratiquait un peu la poésie. Acteur de Prisme.Ollivier a vécu au Québec où il a mené à la fois une carrière universitaire etune carrière d’écrivain. Il est décédé en novembre 2002.
RéginadCrosley. Médecin vit aux USA
Jene saurais passer sous silence la présence de deux femmes autour du groupe depoètes :
JacquelineBeaugé-Rosier et Janine Tavernier. Leurs recueils ont paru dans la Collection Haïti Littéraire. Beaugé vità Gatineau, près d’Ottawa, Canada.
Taverniera vécu en Californie, à Paris et, actuellement en Haïti.
Lesaînés
Nousfréquentions souvent nos aînés, même si nous n’étions pas d’accord avec leurconception de l’écriture poétique.
Nousrendions souvent visite à Léon Laleau, poète, dramaturge ; Jean Fouchard,poète, historien.
Nousavions développé une très grande amitié avec la romancière Marie Vieux Chauvet.Trois ou quatre fois par semaine nous nous réunissions chez elle.
Nousrencontrions de temps à autre nos ainés les poètes: Paul Laraque, René Bélance, Antony Lespès, Franck Fouché,Jean Brierre, Regnor Bernard .
Nousprenions souvent contact avec Antonio Vieux, professeur et journaliste ; Pradel Pompilus, Ghislain Gouraige , auteurs de manuels delittérature ; Roger Gaillard journaliste, historien ; Georges Corvington, historien de Port-au-Prince.
DanielLafontant, fondateur de la Librairie La Pléiade, nous fournissait en livres,dirais-je subversifs ? des Éditions Sociales de Moscou.
C’estd’ailleurs avec les aînés, et à notre initiative, que le Comité pour lacélébration des 60 ans du poète Carl Brouard, a été mis sur pied, en décembre1962.
Ducôté des peintres
Onnous voyait souvent le samedi soir à La Galerie Brochette, à Carrefour, encompagnie des peintres Luckner Lazar, Denis, Cédor, Tiga.
LaGalerie Brochette était formée par un groupe de peintres, dissidents du Centred’Art de Port au Prince. Fondé par l’États-Unien DeWitt Peters qui avait «découvert » la peinture magique haïtienne, ce centre, au début, accueillait les jeunes peintres et dessinateurs dela capitale, mais se transformait de plus en plus en un foyer de la peinturenaïve. Certains membres du centre qui ne se considéraient pas du tout comme despeintres naïfs – ils étaient scolarisés et avaient reçu une certaine formationdans leur domaine – ont décidé de fonder leur propre atelier : La GalerieBrochette.
Nous étions présents, également, à la GalerieKalfou qu’animait Bernard Wah, en compagnie d’un groupe de jeunes peintres.
Nousavions de bons rapports avec les comédiens de la SNAD (Société nationale d’Art dramatique) dont Jacqueline Scott, etLucien Lemoine ( ils devaient tous deux mener une carrière au théâtre auSénégal.)
Etpuis, nous avions notre propre troupe, celle de Prisme, revue sonore de RadioCacique, composée des comédiens Woolley Henriquez, Émile Ollivier, GhislaineMevs, Lucienne Carrié et moi-même.
Haïti Littéraire participait à la vie culturellede Port-au-Prince, nous étions présents lors des vernissages à l’Institutfrançais, au Centre d’Art, à la Galerie Brochette.
Nousavions collaboré au quotidien Le Nouvelliste ; à la revue Conjonction, de l’Institut français ; à la revue Rond Point, des prêtres du PetitSéminaire Saint Martial. Cette revue, qui devait avoir une vie très brève,était animée surtout par Jean Claude Bajeux, et Max Dominique. Max Dominique étaitdevenu notre meilleur critique littéraire, il est décédé en 2005. Jean-Claude Bajeux : poète, ancienministre de la culture, directeur du Centre œcuménique est également décédé.
Lescinq poètes avaient créé leur propre revue. Deux en fait, l’une, sonore : Prisme, revue sonore de radio Cacique.Avec, tous les dimanches : une chronique culturelle ; 30 minutes de poésie ; et un jeuradiophonique, une pièce de trente minutes.
L’autrerevue : Semences, revue dugroupe Haïti Littéraire. Seulementquatre numéros, le cinquième est resté sur le marbre de l’Imprimerie d’AntonioVieux, à cause de plusieurs arrestations arbitraires, dont la mienne.
Quandje relis les noms des collaborateurs des numéros publiés, l’éventail est trèslarge et représentatif.
Malgréles répressions, malgré le climat de peur, la création, surtout dans lesdomaines de la poésie et de la peinture, la création était en pleineeffervescence, comme si inconsciemment, nous sentions le besoin de contrer l’invasionde l’obscurantisme d’État, par des manifestations culturelles, le besoin delancer un dernier cri créateur, contre la terreur qui s’installait et quidevait nous disperser vers d’autres cieux.
Créersous la dictature nous a obligés à maîtriser l’ellipse, à dire sans dire, àrecourir à la métaphore. L’atmosphère de terreur nous a forcés, en quelquesorte, à nous approcher de plus en plus de l’essence même de la poésie.
Lacréation était en pleine effervescence. Les rencontres entre créateurs et intellectuels non-gouvernementaux semultipliaient …. Et puis…
Et puis l’inévitable est tombéparmi nous
comme un coin de silex…
Etce furent les arrestations, les disparitions, l’exil.
Cependantavant d’arriver à l’exil il faudra bien que je dise comment ces poètes se sontreconnus et qui ils étaient.
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