Granada, « Capital mundial de la poesia »Reportage au NicaraguaRobert Berrouët-OriolMontréal, le 23 février 2012
Le 18 février courant environ2 000 personnes ont assisté, Plaza de la Independencia, à la clôture du VIIIeFestival international de poésie de Granada, l’un des trois festivalsmajeurs de poésie de l’Amérique latine. Tenue en hommage national au poètenicaraguayen Carlos Martinez Rivas (auteur, entre autres, de ‘’Comotoca un ciego el sueño’’), l’édition 2012 de cet événement annuels’est achevée par la lecture de la ‘’Déclaration de Granada‘’–document d’appui à la candidature de la ville de Granada au Patrimoinemondial de l’humanité–, ainsi que par la convocation à la cuvée 2013 dufestival qui célèbrera le poète Ernesto Cardenal.
Le Festival internationalde poésie de Granada : la poésie donnée en partage
Festif, bellement et ouvertement prisépar la population de Granada qui en tire une légitime fierté, ce festival, dontla première édition a eu lieu en 2005, est une extraordinaire célébrationpolyglotte et polyphonique de la poésie. Dans une entrevue accordée au magazine‘’La Brújula‘’ (Managua, 9 – 15 février 2012, no 166), lapoétesse nicaraguayenne Gloria Gabuardi, Directrice exécutive duFestival, en précise le projet initial: il s’était agi pour plusieurs poètes etintellectuels du pays –parmi lesquels Nicaso UrbinaBlanquitaCastellónFrancisco de Asis FernàndezPedro JavierSolisIrene Arébalo et elle-même–, de défendre et dediffuser, par l’organisation d’un festival international, les œuvres des grandspoètes du Nicaragua. Ils entendaient ainsi mettre ces œuvres à la dispositiondes jeunes pour qu’ils s’ouvrent à une production poétique moderne à l’échellenationale tout en s’ouvrant à la poésie qui s’écrit à l’échelle internationale.
La cuvée 2012 de l’événement a réuni 150poètes de 47 pays: ils ont convergé vers Granada ces poètes de l’Ukraine, de laZambie, de l’Argentine, de la Russie, de la Belgique, d’Haiti, du Québec, desÉtats-Unis, du Japon, du Maroc, de Puerto-Rico, du Chili, de la France, del’Australie, etc. et, évidemment, en grand nombre depuis le Nicaragua. Durantune semaine, sur le parvis des églises datant des 18e et 19e siècles, dans desécoles et centres municipaux de la culture, au périmètre des places publiqueset dans les rues de la ville, la poésie s’est dite, s’est chantée, s’est danséeet, surtout, s’est donnée en partage dans les langues maternelles ou secondesdes poètes et en traduction espagnole.
Ce sont précisément ces deuxcaractéristiques majeures du Festival international de poésie de Granada quim’ont d’emblée séduit: son caractère hautement festif et populaire –toutes lesactivités du Festival sont d’ailleurs gratuites–, ainsi que sa constance àoffrir la poésie en partage à travers les rues et institutions historiques dela ville. J’en donne deux exemples.
D’abord : le ‘’Carnavalpoétique’’ du mercredi 15 février 2012, qui a consisté en unetraversée de la ville de Granada en‘’11 stations’’ ou arrêts aucoin des rues pour un récitatif public et multilingue de poésie. Fort couru,acclamé notamment par des centaines d’élèves en uniformes d’écoles, ce carnavalpoétique a culminé en un défilé multicolore au bas de la ville, sur les quaisdu Lac Nicaragua. (Ce lac couvre une superficie de 8 624 km² et constituele troisième plus grand lac d’Amérique latine après le lac Titicaca et le lacMaracaibo; il est l’un des plus grands lacs d’eau douce du monde). Au cours dece défilé carnavalesque, des ‘’bandes à pied’’ thématiques avaient revêtu leursplus beaux costumes et accoutrements pour mettre en valeur et avec soin laculture des différents peuples ayant tissé l’histoire du Nicaragua.
Ensuite: la ‘’Tournée enpoésie des municipalités avoisinantes’’, le vendredi 17 février 2012,au cours de laquelle les poètes sont allés à la rencontre des élèves duprimaire et du secondaire dans des centres culturels municipaux. Avec despoètes du Mexique, du Costa Rica, du Honduras, de Puerto Rico et des Phillipines,je me suis retrouvé dans la charmante localité de Catarina, qui abrite unimportant centre d’observation et de préservation de la nature et qui surplombela très belle Lagune d’Apoyo. (Cette lagune, issue d’une éruption volcanique ily a 20 000 ans, mesure 6 km de diamètre et s’étend sur 34 km2). Là j’aiété frappé par le soin avec lequel des élèves du primaire, courtois ethospitaliers, nous ont offert des poèmes spécialement écrits pour célébrernotre rencontre.
À l’aune de la poésie donnée en partagedurant ce festival, j’ai eu le bonheur de lire plusieurs fois et en françaismon poème‘’Découdre le désastre’’ (1), suivi d’une excellente traductionespagnole assurée par le poète Mexicain Omar Alexis Ramos que j’avais rencontréà la Foire du livre de Barcelone il y a quatre ans.
‘’Nicaragua es un país de poesía’’ (GloriaGabuardi)
Il n’est pas du tout fortuit que cesoit la ville de Granada qui abrite un festival centro-latinoaméricain depoésie aussi ample et aussi diversifié. Première cité du Nicaragua et l’une desvilles les plus anciennes du continent américain, fondée en 1524 par leconquistador espagnol Francisco Hernandez de Cordoba, la ville coloniale deGranada compte aujourd’hui 100 000 habitants et se situe à 47 km deManagua, la capitale d’un pays de 130 000 km2 et dont la populations’élève à 5 666 personnes.
Pendant l’époque coloniale Granadadevint l’un des ports commerciaux de la plus grande importance en Amériquecentrale en même temps que la ville s’érigeait selon la traditionarchitectonique espagnole de la «Grande place et des pouvoirs de l’État» aucentre de la ville.
Le 22 novembre 1856 le flibustierHenningsen incendia la ville de Granada en causant d’énormes dégâts auxédifices et, de leur côté, les troupes du pirate nord-américain William Walkerécrivirent en anglais, avant de se retirer de Granada, cette phrase devictoire: «Here was Granada». La reconstruction de Granada commença après la« Guerre nationale » et la ville devint la capitale politique du pays jusqu’en1893 date à laquelle elle perdit son hégémonie politique à cause d’unerévolution libérale menée par le Général Zelaya. Ces trente années degouvernement conservateur virent de nombreuses réalisations dans les édificeset les infrastructures: éclairage public (1872), télégraphe (1875), téléphone(1879), eau potable par canalisation (1880), chemin de fer (1886) avec sa gare(restaurée récemment), le marché et le parc Colón.
Alors même qu’elle a connu lesrivalités et les guerres coloniales entre les anciennes puissances européenneset régionales qui ont sévi dans la totalité des territoires de l’Amériquecentrale et du Sud, Granada a conservé en excellent état son admirablepatrimoine historique et architectural, comme en témoignent l’Iglesia Guadalupeainsi que le Couvent et l’Église de San Francisco. L’église San Francisco est lapremière église de la ville et l’une des constructions coloniales les plusimportantes d’Amérique centrale. Elle fut bâtie en 1529 par Toribio BenevanteMotolina, ecclésiastique de l’ordre des Franciscains. En 1835 elle est devenue le siège de la première université du Nicaragua, jusqu’en 1867, lorsqu’elle repritsa mission première de couvent. Le couvent de San Francisco, converti en unmusée fort fréquenté et qui abrite des statues précolombiennes du Nicaragua, aété le lieu d’une magistrale et émouvante lecture de poésie donnée en anglais(avec traduction simultanée en espagnol), le 16 février 2012, par l’AntillaisDerek Walcott, Prix Nobel de littérature 1992, et auteur notamment de ‘’Sueñoen la montaña del mono‘’, ‘’Otra vida‘’ (1973), ‘’El reino delcaimito‘’, ‘’El testamento de Arkansas‘’ (1987), ‘’Poemasescogidos‘’ (édition spéciale réalisée pour le Festival international depoésie de Granada, Managua, 2012).
Le Festival international de poésie deGranada, enfin, a également accueilli une Foire du livre par l’expositionet la vente de livres de poésie (mais aussi d’histoire, d’architecture, etc.).Cette foire a permis aux festivaliers et aux nombreux touristes de passagedurant l’événement de visiter des musées (par exemple le Centre culturel SanFrancisco) et plusieurs autres institutions historiques de la ville, dont la célèbreCathédrale néoclassique de Granada. Événement majuscule de la vie culturelle duNicaragua, le Festival international de poésie de Granada a reçu le support del’Institut nicaraguayen du tourisme, de l’Assemblée nationale, de l’Unioneuropéenne et du secteur privé des affaires.
Parce qu’il est une ample et ouvertecélébration multilingue de la poésie, le Festival international de poésie deGranada a su privilégier, cette année encore, une représentation fortementinclusive de ce qui s’écrit aujourd’hui dans le champ diversifié de la fictionpoétique. Et c’est selon cette vision éditoriale du partage et de la copulationparolière qu’un festival aussi hospitalier s’attache à mettre en dialogue dejeunes pousses et des artisans rigoureux de la parole, ainsi que des voixconfirmées dans leur singularité et celles du Nicaragua hôte.
Robert Berrouët-Oriol au festival de poésie de Granada (Nicaragua)Robert Berrouët-Oriol, Découdre le désastre . Texte de base et première édition : Riveneuve Continents, Paris, printemps 2011. Édition définitive, sous le titre « Découdre le désastre suivi de L’île anaphore », Éditions Triptyque, Montréal, 2013.Haut de la page