Lepoète Anthony Phelps honoré par la Ville de Montréal
ParRobert Berrouët-Oriol
Montréal, le 27 mars 2016
Le poète AnthonyPhelps, au centre, entouré de plusieurs invités québécois et haïtiens. Créditphoto Simon Laroche. Courtoisie de la présidence du Conseil de villede Montréal.
Le 24 mars 2016, de nombreux sollicités québécoiset haïtiens ont répondu à l’invitation de la Ville de Montréal qui, en cetteJournée mondiale de la poésie, a honoré avec hauteur le poète Anthony Phelps, auteurdu mythique «Mon pays quevoici » (poème rédigé en Haïti en 1963, endisqué à Montréal en 1966, publiéen France en 1968 chez J. P. Oswald, puis réédité à Montréal par Mémoired’encrier en 2007). Tout empreint de solennité et d’émotion partagée, cet événementinhabituel et de premier plan dans les annales de la Ville de Montréal fut entous points festif : à travers l’hommage au poète, c’est la Poésieelle-même en ses hautes voilures qui fut honorée… L’idée d’inviterpour la première fois la Poésie à s’emparer de l’Hôtel de Ville de Montréal revientau poète d’origine haïtienne Frantz Benjamin, président du Conseil de ville ;avecà-propos, il a situé et salué l’événement dans son allocution de réception. FrantzBenjamin n’est pas à son coup d’essai puisqu’il a co-dirigé, avec Rodney Saint-Éloi, unecompilation de textes de plusieurs auteurs qui nomment la ville, « Montréalvu par ses poètes »(éd. Mémoire d’encrier, 2006).
Frantz Benjamin, à gauche, et AnthonyPhelps. Photo : courtoisie de Magglie François.
Durant plus de deux heures, la fête fut belle, tel un chant aux divers registresharmoniques rythmé par les mots-silex, les mots-simoun d’Anthony Phelps. Selonson habituelle maîtrise des événements culturels, Maguy Métellus a illustré leparcours et les temps forts de l’œuvre d’Anthony Phelpset animé cette singulière célébration de la poésie tissée d’extraitsde textes majeurs et de la divertissante musique de Toto Laraque. Ému, attentif,l’auditoire a été emporté par la mise en espace sonore des différentsinterprètes de la poésie d’Anthony Phelps : José Acquelin –poète québécois,lauréat du Prix de poésie 2014 du Gouverneur général du Canada pour « Anarchiede la lumière », éd. duPassage–, a trouvé le ton juste des extraits de « Points cardinaux» (1967) d’Anthony Phelps, poème réédité dans sonanthologie « Nomade je fus de trèsvieille mémoire » (éd. Bruno Doucey, Paris, 2012). Le jeune slameur ivoirienFabrice Koffi, avec talent, a simulé sa rencontre avec la poésie d’AnthonyPhelps, tandis que le diseur haïtien Wesley Rigaud, après avoir situé sonarpentage précoce de « Mon pays que voici », en a bellementinterprété des extraits. Gary Klang, poète et romancier haïtien, a livré un éclairanttémoignage sur le thriller qu’il a coécrit avec Anthony Phelps, « Lemassacre de Jérémie – Opération vengeance » ÉditionsDialogue Nord-Sud, 2014 (titre d’origine « Haïti Haïti » éd. Libre expression, 1985). Jean Marchand,pianiste, comédien et metteur en scène québécois, qui a rencontré Phelps dansle texte il y a déjà quelques années, a magnifiquement interprété de sa voixintense et chaude « Les anges de lapleine lune», poème tiré de « Mon pays que voici ». Enfin JoujouTurenne, conteuse haïtienne très appréciée sur la scène montréalaise, par ledécours du poème « Et moi je suisune île » (1973), a transformé avec talent en conte pour tous les âgesle pétillant et fraternel dialogue entre l’île de Montréal et les îles de laCaraïbe, dialogue bellement tissé dans ce texte d’Anthony Phelps. L’arpentagede ce poème durant l’hommage montréalais à Anthony Phelps revêt une grandeimportance puisque, de tous les écrivains haïtiens vivant au Québec, le poèteest certainement celui qui a le plus chanté Montréal dans son oeuvre. Ainsi, dans son livre « Pointscardinaux»(1967),il salue en ces termes sa ville d’accueil : « Montréal, Fille de verre, Fille d’acier/ je ne suis pas Ambassadeur. Dans mes bagages point de présent / d’un cheftrès vénérable et honoré / ni lettres à cachet m’accréditant auprès de toi. /J’arrive porteur de mon seul titre de poèteEt « Comme le dit René Lacôte, il s’agit « d’unesuite de chants d’un grand souffle, un poème ininterrompu d’où montait avec uneadmirable chaleur, l’amour du poète pour la belle métropole québécoise, pourson fleuve et pour son peuple… » (Hélène Maïa, « Parcours d’Anthony Phelps
MaguyMétellus, au déroulé de l’hommage, a rappelé de manière tout à fait pertinentece que j’ai désigné sous le vocable « la geste » d’Anthony Phelps,soit le retentissant « Non merci »infligé par le poète à Michel Martelly qui voulait lui remettre en juin 2012une « distinction » honorifique. Anthony Phelps –emprisonné auFort-Dimanche en 1963, durant la dictature de François Duvalier–, avait en2012 décliné cette « offre » au motif qu’il ne saurait accepterd’être honoré dans son pays natal alors que le nazillon Jean Claude Duvalier ycirculait librement en toute impunité. Fidèle aux convictions qui l’ont façonné,le poète écrivait alors : « Je ne sauraisaccepter un hommage en temps qu’auteur de « MonPays que voici », tant et aussi longtemps que Jean ClaudeDuvalier ne sera pas traduit en justice (voir l’article deRobert Berrouët-Oriol, « De l’omertà à la défaitede la pensée critique – Retour sur « la geste » d’AnthonyPhelps
Durantl’hommage au poète des deux îles (Haïti et Montréal), j’ai eu en mémoire deséchos de certains textes d’AnthonyPhelps qui m’ont marqué depuis mon adolescence à Montréal. Parmi eux je retiens« Typographe céleste»consigné dans « Orchidéenègre» (1987), poème réédité dans son anthologie Nomade je fus de très vieillemémoire ». Le poète y calligraphie l’architecture de son projetpoétique, trace les contours de ses exigences esthétiques ainsi que sa manièred’écrire, en une langue rigoureuse, une exceptionnelle poésie de l’exil et del’enracinement dans l’Ailleurs québécois : « Nul ne sait impunément forcer / la demeure du poème / ce lieuprivilégié où le pas du soir / se fait plus lent qu’ailleurs / où tout désir /se calligraphie de bas en haut / Homme sans verso / je ne m’exprime qu’entransparence / sans autre dépendance que le signe / ce mouvement qui fait leverle texte / en fleur ou scalpel ». Etle poète précise en ces termes la maîtrise de son projet poétique une fois deplus dans « Orchidée nègre»(1987)« J’investis la doublure du langage, ce tissuinaudible qui donne sang à mes mots ».Ma dette de poète envers la poésie d’Anthony Phelps ne saurait s’éteindre, et j’ai à cœurde mettre constamment en oeuvre ses précieux enseignements –notamment larigueur du travail sur la langue, la maîtrise de la construction des métaphoreset de la polyphonie du texte, le choix précis des mots, l’éthique de la poésie…
Joujou Turenne interprétant le poème Et moi je suis une îleCrédit photo Simon Laroche.Courtoisie de la présidence du Conseil de ville de Montréal.
Si l’une des partitions de la poésie d’Anthony Phelps, notammentdans « Mon pays que voici »,aparfois été comparée au lyrisme majestueux de Saint John Perse –auteur d’« Anabase » (1967), de « Vents » (1968) et prix Nobel depoésie 1960–, c’est que sa manière de revisiter les grands mythes fondateursd’Haïti s’est faite dans la fréquentation soutenue des cimes du phrasépoétique, dans l’évocation rythmée des séquences de l’identité haïtienne forgéeau fil des luttes nationales et dans une exceptionnelle maîtrise de la languefrançaise. À dessein, l’exceptionnel hommage à Anthony Phelps l’a rappelé dans le flux d’unesoirée fort conviviale.
Anthony Phelps prononce son discours de remerciement à la Ville de Montréal. Photo RBO.
Le dernier à prendre la parole fut Anthony Phelps qui, avec uneémotion difficilement contenue, a remercié la Ville de Montréal pour l’hommagereçu. S’il est vrai que Montréal dispose de sa Maison de la poésie et depuis2015 de son poète de la Cité, c’est bien la première fois que la ville deGaston Miron honore officiellement un poète haïtien de son vivant, et AnthonyPhelps a tenu à souligner la signification de cette distinction qui l’honore etl’émeut : la réception et la reconnaissance de son œuvre poétique par lamétropole francophone québécoise où il a posé ses pas et qu’il habite depuis1964. Car l’œuvre pionnière d’Anthony Phelps –et à sa suite celle de plusieursécrivains d’origine haïtienne–, contribue à l’enrichissement du patrimoinelittéraire francophone québécois. Pareil enrichissement sera sans doute un jourmis en lumière dans le champ littéraire du Québec, et on y redécouvrira lasignification du long compagnonnage d’Anthony Phelps –et des autres poètes dugroupe Haïti littéraire aux lundis dubistrot Le Perchoir d’Haïti–, avec l’avant-garde littéraire québécoise desannées 1960 – 1970, parmi lesquels Nicole Brossard, Paul Chamberland etGaston Miron, etc.
Comédien, diseur, auteur de contes pour enfants, de pièces dethéâtre et de nouvelles, Anthony Phelps est également le romancier d’œuvres oùs’entrecroisent diverses thématiques, entre autres la mémoire de son peuple etla lutte contre la dictature des Duvalier. Son roman « Moins l’infini » (Les Éditeursfrançais réunis, Paris, 1973; éd. du Cidihca, Montréal, 2001) vient d’êtreréédité sous le titre « Des fleurs pour les héros» (éd. Le Temps descerises, Paris, 2013). Mais Anthony Phelps est avant tout l’auteur d’une œuvrepoétique prolifique où « Monpays que voici» représente, comme le poète le dit lui-même, « Le point de départ de ma trajectoired’écrivain » (Hélène Maïa, «Parcours d’Anthony Phelps »). Parmi ses livres depoésie on retiendra notamment « Les doubles quatrains mauves», Port-au-Prince : Éditions Mémoire, 1995 ;Femme Amérique», Trois-Rivières/Marseille : Écrits des Forges/Autrestemps, 2004 ; « Une phrase lente de violoncelle»,Montréal : Éditions du Noroît, 2005 ; « Une plage intemporelle »,Montréal : Éditions du Noroît, 2011 ; « L’araignée chiromancienne »,bestiaire illustré par Sean Rudman, Trois Rivières : Éditions d’art Le Sabord,2012.
Avant l’hommagemontréalais du 24mars 2016, Anthony Phelps a reçu de prestigieuses distinctions : Prix Casa de lasAméricas 1980 pour « La Bélière caraïbe»; Prix Casa de lasAméricas 1987 pour « Orchidée nègre» ; Prix de poésie du Livreinsulaire Ouessant 2012, en France, pour « Nomade je fus de très vieillemémoire»;Prix de poésie Gatien-Lapointe – Jaime-Sabines 2014, au Mexique, pour «Femme Amérique / Mujer América».
Plusieurs titresde l’œuvre d’Anthony Phelps ont été traduits en espagnol, anglais, russe,ukrainien, allemand, italien et japonais.
Son prochain recueil de poésie,« Je veille incorrigible féticheur»(éd. Bruno Doucey, 2016), sera en signature le 20 avril 2016 à 17 h 30 à laMaison des écrivains (3492 avenue Laval, Montréal).
Hommageà Anthony Phelps, Ville de Montréal, 24 mars 2016
Photos-témoins
AnthonyPhelps signant le registre d’honneur de la Ville de Montréal.
Crédit photo Simon Laroche. Courtoisiede la présidence du Conseil de ville de Montréal.
De gauche àdroite : Hélène Valiquette, Anthony Phelps et Frantz Benjamin, président du Conseil de ville de Montréal. Crédit photo Simon Laroche. Courtoisie de la présidence du Conseil de ville de Montréal.
Anthony Phelps et Robert Berrouët-Oriol. Crédit photo Simon Laroche.Courtoisie de la présidence du Conseil de ville de Montréal.
Jean Marchand interprétant« Les anges de la pleine lune ». Photo RBO.
Vue partielle de l’assistance. Le poètequébécois José Acquelin salue Anthony Phelps. Crédit photo Simon Laroche. Courtoisie de la présidence du Conseil de ville de Montréal.
Exposition dequelques titres d’Anthony Phelps. Photo : courtoisie de Stéphane Martelly.
partielle de l’assistance. Degauche à droite : Joujou Turenne, Hélène Valiquette, Anthony Phelps, Frantz Benjamin et Gérard Lechêne, président duFestival international vues d’Afrique.Crédit photo Simon Laroche. Courtoisie de la présidence du Conseil de ville de Montréal.